J - 162
Terre ?
Je
force sur ma pagaie. Quelle que soit la direction vers laquelle se tourne mon
regard, une brume hostile occulte l’horizon. Une brume quasi métallique qui
nous a absorbés il y a maintenant treize jours. Au moment même où nous avons
entendu ce cri strident. Ce cri connu de tous ceux qui ont un jour affronté les
vastes étendues maritimes. Ce cri horrible et pourtant synonyme de joie chez le
navigateur. Un cri que nous n’espérions plus, celui de l’oiseau de mer
annonciateur d’une terre proche. Depuis treize jours, il perce au gré de sa
méchante humeur la ouate qui nous étouffe. Dans la chaleur de cette mer de
plomb, nous avons perdu tous nos repères. À chaque instant, nous ignorons dans
quelle direction nous avançons. Peut-être tournons-nous en rond aveuglés par cette
alternance de blancheur éblouissante du jour et de noirceur totale de la nuit.
Même nos ombres nous ont quittés. Comme des rats, elles ont abandonné la longue
pirogue qui porte les trente-neuf membres de ma famille. Une longue pirogue qui
dans le brouillard a vu disparaitre ses sœurs. Seule dans le silence, sans les
appels réguliers des sonneurs ni le bruit des autres rameurs, elle erre accompagné
du cri sinistre de l’oiseau. La réserve d’eau est épuisée. Les vivres, depuis
deux jours déjà. Mais nous ne renoncerons pas si près. Pas après un tel voyage.
Je force sur ma pagaie.
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