J - 204 Salvador

J - 204

Salvador

Il pleut sur Santiago. Depuis l’aube, la radio passe ce message en boucle. Pourtant aujourd’hui le temps est clair sur la ville. On distingue même les sommets de la Cordillère à travers le brouillard jaune de la pollution. D’ailleurs, un peu de flotte nous ferais le plus grand bien. Elle briserait ce carcan brumeux qui, été comme hiver, étouffe la capitale.

Ma tête est lourde. Le pisco d’hier soir a du mal à se dissiper, à moins que ce ne soit ce coka cola capitaliste qui l’a rendu toxique. On a manqué aussi d’empanadas pour l’accompagner, ce satané blocage des chauffeurs poids-lourds. Aujourd’hui le président doit annoncer de nouvelles élections. Nous allons enfin trouver une issue à cette crise. Cette radio m’énerve. Que passent les autres stations ? Je dois me dépêcher, il est déjà 9 heures passées. La fac ne m’attendra pas ! Oh, n’est-ce pas sa voix là ? Radio Magallanes. Que dit-il ? 

J - 205 San Salvador

 J - 205

San Salvador

Le cri de Juan restera longtemps gravé dans ma mémoire. Ensuite tous ont hurlé. De joie ! Moi aussi. Je n’aurais pas dû participer à cette allégresse. Elle exprimait mon échec. Celui de la mission que l’on m’avait confiée. Mais je n’avais pas pu. Dès les premières heures, j’avais su que j’en serais incapable. L’homme m’avait comme envouté. Son charisme, son aura, sa volonté sans failles. Celle qui nous avait fait tenir jusqu’à aujourd’hui.

J - 206 Genbaku

J - 206

Genbaku

Un ciel bleu à nouveau ce matin ! Une très belle journée s’annonce. Mais peut-on encore s’extasier sur la beauté de la nature ? Des malheurs frappent sans fin l’Empire. Pourtant chaque jour, à mon réveil, cet immuable soleil levant me nargue. Comme si nous n’existions déjà plus pour lui. Comme s’il était totalement indifférent à notre chute. Pourtant je ne peux y croire. C’est sous sa marque que nous nous battons. Sous sa bannière, nous construisons ce monde où nous retrouverons notre juste place. Mais la justice comme le soleil paraissent nous avoir abandonnés. Non, cela ne peut être ! Ce matin, j’irais de nouveau au temple. J’y prierai pour la gloire de nos armes. Je devrais me presser, il est presque 8h15.

Une invisible plume trace une fine ligne blanche sur le bleu uniforme. La respiration du peintre, un grondement sourd, l’accompagne. Soudain un bruit aigu surgit du néant. Le bec crisse sur le papier et vrille l’espace.

8h15, Hiroshima, Japon, un monde vient de prendre fin.

J - 207 Tout attendre du temps

J - 207

Tout attendre du temps

La folie a embrasé la ville. J’ai essayé de signer les ordres nécessaires. Les chevaucheurs se tenaient prêts. Mes plus proches conseillers m’ont adjuré de le faire. Les régiments étrangers étaient massés non loin des portes de la cité. J’ai refusé. Pourtant la canonnade aurait tout balayé, tout réglé. Mais on ne fait pas tirer sur ses enfants. Ceux qui le sauront, diront que j’ai été faible, comme à chaque fois. Mais cette fois, personne ne le saura.

« Rien » note la main sur le cahier avant de le refermer.

En ce 14 juillet 1789, le soleil couchant illumine d’un rouge sang les appartements du Roi. La fin d’un monde a commencé.

J - 208 Petit scarabée

J - 208

Petit scarabée

- Crois-tu, Maitre, qu’il y ait une limite à la Vie sur terre ? Crois-tu que c’est en imaginant la multitude d’êtres humains vivants aujourd’hui que nos ancêtres ont établi leur calendrier ?

- Combien crois-tu qu’il y ait de fourmis sur terre ?

- Je ne sais pas... énormément. Plus sans doute que d’êtres humains. Probablement.

- Il n’y a pas de limites à la Vie sur terre. La Vie peut être infinie, tant que l’équilibre perdure.

- Mais si un jour celui-ci venait à être rompu.

- Tout devra s’arrêter.

- Nous devrions donc...

Il n’ose terminer sa phrase.

- Oui, jeune Chang, nous devrions déclencher le cataclysme. Tel est notre raison d’être, et ce depuis des millénaires. Nous, les Ysthophraingiens, sommes l’ultime soupape de sécurité, celle qui si rien ne change lâchera le 22 aout 2019 et conduira à la fin du monde.

J - 209 Éternité

J - 209

Éternité

Depuis combien de temps les vagues viennent-elles lécher cette plage ?

Combien de mouettes ont-elles piaillé sur ses galets ?

La pluie, le vent, le soleil brulant ont marqué sur ses courbes alanguies.

Combien des miens l’ont-ils regardée sans la voir ?

Dans quelques semaines elle aura disparu. À moins que seuls nos yeux ne se ferment et que tout cela continue à jamais sans nous.

J - 210 À l’autre bout de la piscine

J - 210

À l’autre bout de la piscine 

Blonde à la peau trop dorée. Lentilles vertes sous des paupières trop maquillées. Ongles rose violet trop sophistiqués. Trop nombreux bracelets rehaussés d’un unique orange fluo. Maillot deux pièces au trop pigeonnant soutien gorge. Le trop petit piercing au nombril apporte la touche finale et ne laisse aucun doute, elle est intégralement rasée. Comment pourrait-il en être autrement quand on a comme elle dépassé la quarantaine ?

Série de portraits volés de la fin du monde.