J - 205
San Salvador
Le cri de
Juan restera longtemps gravé dans ma mémoire. Ensuite tous ont hurlé. De joie !
Moi aussi. Je n’aurais pas dû participer à cette allégresse. Elle exprimait mon
échec. Celui de la mission que l’on m’avait confiée. Mais je n’avais pas pu.
Dès les premières heures, j’avais su que j’en serais incapable. L’homme m’avait
comme envouté. Son charisme, son aura, sa volonté sans failles. Celle qui nous
avait fait tenir jusqu’à aujourd’hui.
L’époque ne
convenait pas à cette découverte, m’avaient répété mes frères. Trop
d’intransigeance chez ceux qui subventionnaient le projet de cet homme,
m’avaient-ils dit, et j’étais d’accord. Ces barbares luttaient depuis tant
d’années pour leur Foi. Ils avaient foulé de leurs pieds caparaçonnés tant et
tant de beauté. Des merveilles avaient été brulées sans remords, des têtes
avaient roulé sans pitié. Pour leurs chefs, aucune culture ne pouvait exister
en dehors de leur Dieu. Si je partageais sans réserve le point de vue de mes
frères, il leur avait fallu beaucoup de temps pour me convaincre de la
nécessité de cette exécution. Ôter une vie n’est pas chose facile, ôter cette
vie fut impossible.
Je croyais
pourtant être prêt le jour où j’embarquais sur la Santa Maria. Je ne l’étais
pas. De toute façon d’autres suivront, nous ne pourrons pas indéfiniment les
stopper, m’étais-je répété à chaque fois qu’une opportunité s’était offerte.
J’avais trop d’amour pour l’amiral.
Désormais,
il est trop tard, ma faiblesse signe la fin d’un monde.
12 octobre
1492, Christophe Colomb découvre l’Amérique.
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