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La malédiction du roi (Iran 1978 2/3)
Après la découverte d’un naos, une salle en l’honneur d’un dieu, dans
les souterrains de la vieille ville d’Anshan, le professeur Mohseni est
allé rendre compte au Shah d’Iran, Reza Pahlavi. À son retour, bien que
cette découverte n’ait rien à voir avec les attentes toutes politiques
du souverain, il demande à son équipe d’archéologues de continuer son
travail dans la crypte. L’homme a-t-il obtenu l’accord du Shah, ce
serait surprenant. De toute façon, lui seul le sait.
La mission,
constituée d’une vingtaine de chercheurs dont trois femmes, déménage
pour s’isoler au plus près de sa zone de fouilles. Chaque jour, des
quantités importantes de gravats gris sont remontées par les
scientifiques. À la demande de Mohseni, ceux-ci travaillent sans aucune
aide extérieure, ce qui rend les paysans du coin assez hostiles à leur
égard. Plusieurs membres du groupe s’en sont ouverts au professeur, mais
ce dernier demeure inflexible.
L’enthousiasme du début est
retombé. Pourtant leur chance est exceptionnelle, quasi miraculeuse. Le
Graal de tout archéologue, découvrir des traces d’une culture inconnue.
Mais l’angoisse, qui les étreint chaque fois qu’ils pénètrent dans la
pièce, les ronge. Ce matin un éboulement a blessé gravement l’une des
femmes de l’équipe. Elle a été évacuée vers Ispahan où sa famille va la
prendre en charge. Cela n’a pas amélioré l’ambiance générale, même si
les accidents ne sont pas rares dans des fouilles. Le plus jeune des
archéologues, un étudiant en thèse, tente lors du repas du soir de
détendre l’atmosphère.
- Peut-être sommes-nous victimes de la
malédiction de ce roi ? murmure-t-il en observant avec attention son
verre de vin rouge. Nous avons brisé son sceau sacré pour entrer dans ce
naos.
Des regards se tournent vers le professeur Mohseni.
L’homme s’agite à l’autre bout de la table. Après tout c’est bien lui
qui, seul dans la nuit, a pris la décision de pénétrer dans la salle.
C’est lui seul qui a manié la pioche qui a fracassé les briques de terre
cuite du mur qui obstruait le passage.
- Eh les gars, c’est de
l’humour ! s’écrit le jeune étudiant devant ces réactions imprévues tout
en s’efforçant d’éclater de rire. Au sang des rois du passé,
rajoute-t-il en ingurgitant d’un trait la boisson rouge vermeil.
Autour de la table, des sourires et quelques rires réchauffent l’atmosphère.
Le lendemain matin, le motard chargé de porter chaque jour leur compte
rendu à Téhéran leur remet une missive. Les sourires de la veille
s’estompent, leur camarade est décédée dans l’avion qui la transportait.
La journée qui suit se passe dans la même routine que les précédentes.
Étouffante, ordonnée et sans histoire. Des pioches cassent la glaise.
Des brouettes pleines l’emportent vers la surface. Des papiers reçoivent
la copie des inscriptions gravées sur les murs noirs veinés de pourpre
qui ont été ainsi dégagés.
La nuit qui vient sera, elle, plus
exceptionnelle. Alors qu’il rentre dans son sac de couchage, le jeune
étudiant ressent une insupportable douleur. La brulure d’un tison porté
au rouge qui irradie sa cuisse. La piqure du scorpion qui tombe au pied
du lit de camp et s’enfuit rapidement sur le sol poussiéreux.
- La malédiction du roi, s’amuse son voisin de tente.
Ce genre de piqure n’est pas trop grave. Une forte douleur, peut-être
un peu de fièvre et cela passera tout seul. Pour rassurer le garçon et
calmer la douleur, le professeur lui injecte un puissant antalgique.
Après avoir exigé que plusieurs personnes s’assurent qu’il n’y a plus
rien de dangereux dans son sac, le jeune homme accepte enfin de
retourner se coucher. Son sommeil est plus qu’agité au grand dam de son
voisin qui préfère au final aller dormir à la belle étoile. Au petit
matin, il découvre son camarade les yeux et la bouche grands ouverts au
pied de son lit. Sa propre mort semble l’avoir horrifié tant son visage
est déformé. Le médecin qui accompagne les policiers conclut rapidement à
une réaction allergique au venin ou à l’antalgique. Ces hommes ne
s’attardent pas, indiquant au professeur que la situation devient
critique en ville suite aux affrontements des jours précédents. Ce
dernier leur répond d’un simple signe de la tête, paraissant ne même pas
entendre leurs paroles alarmantes.
Quand un nouvel accident
mortel frappe le groupe, une sourde inquiétude commence à gagner les
archéologues. On accuse la malédiction, la malchance, les paysans
hostiles, tout y passe. Le professeur Mohseni, de son côté, refuse
toutes autres explications que le hasard. Pourtant même si ce genre de
choses survient régulièrement durant des travaux souterrains, les
probabilités ne jouent pas en faveur du seul hasard. Certains envisagent
d’abandonner les fouilles, de quitter le site. Le professeur s’emporte.
Les traite de tout, leur reproche leur manque de rigueur scientifique,
va jusqu’à menacer de jeter l’opprobre sur leur réputation. Les esprits
s’échauffent et seule l’heure avancée met un terme au débat en évitant
le pugilat.
Le lendemain cinq d’entre eux périssent dans un
effondrement d’un tunnel secondaire. Face à ce nouveau coup du sort, le
professeur est obligé de céder. La décision est prise de suspendre le
chantier durant quelques semaines, le temps pour chacun de retrouver un
peu de sérénité. Un car doit venir les récupérer en fin d’après midi
pour les conduire à Téhéran. Ils feront un point dans une quinzaine de
jours à l’université. Mohseni, lugubre, se résigne à tout cela. Quelques
heures plus tard, l’air sombre et marmonnant de manière
incompréhensible, il monte dans le bus. Il se réfugie seul à l’arrière.
Une des femmes l’observe, inquiète. Il semble discuter avec d’autres
personnes invisibles. La peur habille son visage. Que se passe-t-il dans
sa tête ? Est-il encore sain d’esprit ? se demande-t-elle. Elle
n’obtiendra jamais de réponses. Embarqué trop rapidement dans un virage
trop serré, le chauffeur n’arrive pas à éviter la sortie de route.
Hurlant d’incompréhension, il jette le véhicule dans un profond ravin.
Les derniers membres de l’expédition archéologique périssent avec lui.
De nombreuses années plus tard, depuis le pays où il s’est réfugié, un
officier de la SAVAK, la terrible police secrète du Shah, racontera que
c’est son organisation qui a exécuté l’un après l’autre toute l’équipe
de professeur Mohseni. Sur ordre de qui, il n’en dira rien.
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