lundi 7 janvier 2019

J - 228 L’ambassade (Iran 1978 3/3)


J – 228 

L’ambassade (Iran 1978 3/3)

Dans les derniers jours du règne du Shah d’Iran, Reza Pahlavi, une explosion secoue un secteur des fouilles de la vieille ville d’Anshan. L’effondrement qui en résulte engloutit tout un campement d’archéologues heureusement abandonné. La bombe fait aussi disparaitre sous des tonnes de roche un naos souterrain, salle d’un temple réservée aux dieux, et toutes les inscriptions inconnues qui recouvraient ses murs. L’immense découverte du professeur Mohseni retourne à l’oubli avant même d’avoir été révélée au monde. 

Pendant la durée des recherches que l’équipe de Mohseni a menées sur le site, chaque jour un motocycliste militaire était venu récupérer de fins dossiers scellés. Les comptes-rendus journaliers que le professeur envoyait à son mécène et souverain, le Shah. Ayant bien vite compris que dans l’immédiat sa découverte n’intéresserait personne à la cour, le professeur décida de la confier au futur. Dans ses sacoches, l’estafette transportait non des comptes-rendus, mais la transcription des inscriptions que chaque jour les archéologues relevaient dans le naos. Ces enveloppes voyageaient sous la protection de l’armée et à Téhéran elles étaient stockées dans une salle climatisée du palais en attente de jours meilleurs. Désormais après la mort dans divers « accidents » de tous les membres de l’équipe et la destruction du site, seuls ces dossiers gardent les traces du trésor archéologique enseveli.




Mais le professeur Mohseni, dans son isolement volontaire, a négligé la dégradation de la situation politique durant l’année écoulée. Pire, en ce début d’année 1979, les choses s’emballent. Le régime s’effondre en quelques jours sans espoir de retour. Le palais de Niavaran ne va pas tarder à devenir un des lieux les plus exposés d’Iran.

Il y a quelques minutes, un hélicoptère a emmené le Shah et sa famille en exil. Alors que l’aéronef s’éloigne du palais, plusieurs hommes habillés de noirs et le visage masqué s’introduisent discrètement dans le bâtiment. Passé les murs, la surprise est totale pour ces visiteurs indésirables. Autour d’eux, le luxe est sans commune mesure avec ce qu’ils avaient imaginé et les reflets imbriqués de miroirs immenses et la multitude d’éclats de pierreries les troublent plus que de raison les maintenant figés dans une peur quasi mystique. Celui qui parait être leur chef a un geste brusque accompagné d’un grondement rauque. Ses voisins émergent enfin de leur transe et reprennent leur marche.

Sans s’arrêter désormais sur les richesses extravagantes des différentes salles traversées, ces ombres se dirigent vers les sous-sols. Elles doivent arriver avant les pillards aux archives. C’est en effet cette course contre la montre qui les motive. Une motivation bien nécessaire à ce groupe qui n’est en rien constitué de voleurs, bien au contraire. Celui qui leur ôterait leur masque serait surpris de découvrir de paisibles chercheurs accompagnés de quelques étudiants intrépides du département d’histoire de l’université de Téhéran, d’honnêtes scientifiques dont une amie intime du professeur Mohseni. Très, trop, proche les uns des autres, ils se déplacent avec la peur au ventre et la gorge serrée, ils ne donnent pas cher de leur peau s’ils sont pris.

La tâche promet d’être longue, pensent-ils en pénétrant enfin dans le Saint des Saints de la mémoire impériale. En effet, la salle est vaste et les coffres nombreux. Très vite toutefois ils se rendent compte que d’autres sont passés avant eux et que la plupart des armoires-fortes sont vides. Un travail méticuleux des séides du régime qui ont effacé ses infâmes secrets et se sont emparés de tout ce qui pouvait avoir de la valeur. Cette constatation les rassure, peu de chance que l’on surveille toujours ce lieu désormais sans intérêt. L’esprit plus libre, dans la pénombre, ils fouillent méthodiquement les quelques coffres encore intacts. 

- Ici ! 

La voix un peu trop forte résonne dans la salle immense. Chacun se fige. L’écho diminue bien plus vite entre ces murs que dans leurs oreilles. La peur décuple les sens, pas forcément pour le meilleur de ceux qui la portent en eux. La femme, la première, se débloque et se dirige vers celui qui a crié sa joie. 

- Enfin, murmure-t-elle en saisissant les dossiers.

Dès leur retour à l’université, les chercheurs se jettent sur les documents. Ils sont les premiers à décacheter ces enveloppes depuis qu’elles ont été scellées par le professeur Mohseni à Anshan. La surprise qui les attend est énorme. Bien plus énorme que les bouleversements qui agitent le pays. Bien plus énorme que la répression sans pitié qui le martyrise. Bien plus énorme… pour ces archéologues qui vivent plus dans le passé plus que dans le présent. Déjà plongés dans leurs pensées et coupés du monde extérieur, ils se lancent à corps perdu dans l’étude de ces extraordinaires transcriptions. L’amie du professeur Mohseni comprend mieux l’exaltation de celui-ci durant de leur dernière rencontre à Téhéran alors qu’il quittait le palais de Niavaran. 

Pendant plusieurs mois dans leurs bureaux des sous-sols de l’université ils pénètrent petit à petit un autre monde. Un univers où l’Islam n’a pas sa place. Absorbés par leurs travaux, ils ne notent pas les changements qui s’opèrent chez l’un de leurs thésards. Peut-être est-il le seul qui vit réellement cette crise qui balaye tout le pays. Un pays où les autorités religieuses imposent un pouvoir aussi violent que peu tolérant. Est-ce la crainte ou la foi ? Dès que l’organisation des moudjahidines du peuple iranien, parti opposé aux islamistes radicaux, perd le contrôle de l’université, il quitte le groupe sans rien dire. Quelques jours plus tard, un message arrive des bureaux du « guide suprême de la révolution », l’ayatollah Khomeini. Il ordonne la saisie des travaux et l’arrestation de tous les chercheurs. 

L’amie du professeur Mohseni parvient grâce à l’aide de quelques étudiants à fuir pendant l’intervention des pasdarans, les gardiens de la révolution islamique. Une course folle dans les couloirs des sous-sols. Un jeu de cachecache entre ombres et lumière. Enfin une porte qui s’ouvre sur l’extérieur et une rue bruyante où elle émerge à la limite de l’asphyxie. En cette après-midi grise de novembre 1979, elle se déplace au sein d’une foule qu’elle ne reconnait plus. Qu’est devenue Téhéran, la cosmopolite ? D’où sortent toutes ces silhouettes informes noires et voilées ? Pourquoi ces hommes ne lui offrent-ils plus leur si charmant sourire ? Effrayée par ce qu’elle découvre, elle peine à se retenir de courir, mais elle doit avant tout éviter d’attirer l’attention. Malgré cela elle ne peut s’empêcher de jeter régulièrement des regards en arrière. La poursuivent-ils encore ? Après une longue et surtout stressante marche, elle arrive devant les grilles de l’ambassade américaine. Le bâtiment est assiégé par une multitude en colère. Tant pis, elle ne peut plus reculer. Au culot et avec un énorme aplomb qui réduit à néant ses dernières réserves d’énergie, elle force l’entrée, écartant d’un même geste superbe Iraniens fanatisés et marines obtus.
Ayant été informé de son « exploit », le chargé d’affaires s’empresse de la recevoir.

- Vous devriez trouver refuge dans une représentation diplomatique moins exposée, lâche-t-il à un moment pendant leur conversation.

- Jamais une ambassade n’a été violée, répond-elle d’une voix fatiguée.

- Ces jeunes exaltés me paraissent peu au fait des conventions internationales, murmure l’homme avec un sourire désabusé.

- Demain, peut-être. Ce soir, mes jambes ne me portent plus, souffle-t-elle. 

Le lendemain, plusieurs centaines d’étudiants escaladent le mur d’enceinte. Des images qui feront le tour du monde. Frappée de terreur, la femme reconnait parmi eux ceux qui ont envahi hier les bureaux de l’université. Après quelques minutes de confusions, les diplomates américains sont pris en otage. Évacuée manu militari, comme les autres Iraniens présents dans le bâtiment, plus personne ne reverra jamais l’amie du professeur Mohseni.

En 1981, quelques mois après la libération des otages américains, un dossier top secret sera archivé dans les sous-sols du siège de la CIA : Les Ysthophraingiens. Seules quelques personnes en connaissent le contenu exact. On prétend qu’il y est question d’un calendrier antique et de la fin du monde. Une histoire digne d’une prochaine aventure de ce nouveau héros interprété par Harisson Ford, se gausse-t-on dans les cercles les moins informés de Langley et de Washington.

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