![Les Ysthophraingiens, Dernières Chroniques de la Fin du Monde Les nouvelles de SASSA auteur de polars d'espionnage](https://blogger.googleusercontent.com/img/b/R29vZ2xl/AVvXsEgT3USYfcb_C2eTe3Tu8fPiRvIthKna0zrd_Gx7oYzYmmBEWOZ2qvUoAsUkjSavos0mtLM7yVDMQMy-kahfAl1WIg4b8SvkSaSlARKeq34HEo-5JZb8IomSx0U-ZO2esbdonF-Q7Wkq53c/s200/les+ysthophraingiens+blog.jpg)
L’ambassade (Iran 1978 3/3)
Dans les derniers jours du règne du Shah d’Iran, Reza Pahlavi, une
explosion secoue un secteur des fouilles de la vieille ville d’Anshan.
L’effondrement qui en résulte engloutit tout un campement d’archéologues
heureusement abandonné. La bombe fait aussi disparaitre sous des tonnes
de roche un naos souterrain, salle d’un temple réservée aux dieux, et
toutes les inscriptions inconnues qui recouvraient ses murs. L’immense
découverte du professeur Mohseni retourne à l’oubli avant même d’avoir
été révélée au monde.
Pendant la durée des recherches que
l’équipe de Mohseni a menées sur le site, chaque jour un motocycliste
militaire était venu récupérer de fins dossiers scellés. Les
comptes-rendus journaliers que le professeur envoyait à son mécène et
souverain, le Shah. Ayant bien vite compris que dans l’immédiat sa
découverte n’intéresserait personne à la cour, le professeur décida de
la confier au futur. Dans ses sacoches, l’estafette transportait non des
comptes-rendus, mais la transcription des inscriptions que chaque jour
les archéologues relevaient dans le naos. Ces enveloppes voyageaient
sous la protection de l’armée et à Téhéran elles étaient stockées dans
une salle climatisée du palais en attente de jours meilleurs. Désormais
après la mort dans divers « accidents » de tous les membres de l’équipe
et la destruction du site, seuls ces dossiers gardent les traces du
trésor archéologique enseveli.
Mais le professeur Mohseni, dans
son isolement volontaire, a négligé la dégradation de la situation
politique durant l’année écoulée. Pire, en ce début d’année 1979, les
choses s’emballent. Le régime s’effondre en quelques jours sans espoir
de retour. Le palais de Niavaran ne va pas tarder à devenir un des lieux
les plus exposés d’Iran.
Il y a quelques minutes, un hélicoptère
a emmené le Shah et sa famille en exil. Alors que l’aéronef s’éloigne
du palais, plusieurs hommes habillés de noirs et le visage masqué
s’introduisent discrètement dans le bâtiment. Passé les murs, la
surprise est totale pour ces visiteurs indésirables. Autour d’eux, le
luxe est sans commune mesure avec ce qu’ils avaient imaginé et les
reflets imbriqués de miroirs immenses et la multitude d’éclats de
pierreries les troublent plus que de raison les maintenant figés dans
une peur quasi mystique. Celui qui parait être leur chef a un geste
brusque accompagné d’un grondement rauque. Ses voisins émergent enfin de
leur transe et reprennent leur marche.
Sans s’arrêter désormais
sur les richesses extravagantes des différentes salles traversées, ces
ombres se dirigent vers les sous-sols. Elles doivent arriver avant les
pillards aux archives. C’est en effet cette course contre la montre qui
les motive. Une motivation bien nécessaire à ce groupe qui n’est en rien
constitué de voleurs, bien au contraire. Celui qui leur ôterait leur
masque serait surpris de découvrir de paisibles chercheurs accompagnés
de quelques étudiants intrépides du département d’histoire de
l’université de Téhéran, d’honnêtes scientifiques dont une amie intime
du professeur Mohseni. Très, trop, proche les uns des autres, ils se
déplacent avec la peur au ventre et la gorge serrée, ils ne donnent pas
cher de leur peau s’ils sont pris.
La tâche promet d’être longue,
pensent-ils en pénétrant enfin dans le Saint des Saints de la mémoire
impériale. En effet, la salle est vaste et les coffres nombreux. Très
vite toutefois ils se rendent compte que d’autres sont passés avant eux
et que la plupart des armoires-fortes sont vides. Un travail méticuleux
des séides du régime qui ont effacé ses infâmes secrets et se sont
emparés de tout ce qui pouvait avoir de la valeur. Cette constatation
les rassure, peu de chance que l’on surveille toujours ce lieu désormais
sans intérêt. L’esprit plus libre, dans la pénombre, ils fouillent
méthodiquement les quelques coffres encore intacts.
- Ici !
La voix un peu trop forte résonne dans la salle immense. Chacun se
fige. L’écho diminue bien plus vite entre ces murs que dans leurs
oreilles. La peur décuple les sens, pas forcément pour le meilleur de
ceux qui la portent en eux. La femme, la première, se débloque et se
dirige vers celui qui a crié sa joie.
- Enfin, murmure-t-elle en saisissant les dossiers.
Dès leur retour à l’université, les chercheurs se jettent sur les
documents. Ils sont les premiers à décacheter ces enveloppes depuis
qu’elles ont été scellées par le professeur Mohseni à Anshan. La
surprise qui les attend est énorme. Bien plus énorme que les
bouleversements qui agitent le pays. Bien plus énorme que la répression
sans pitié qui le martyrise. Bien plus énorme… pour ces archéologues qui
vivent plus dans le passé plus que dans le présent. Déjà plongés dans
leurs pensées et coupés du monde extérieur, ils se lancent à corps perdu
dans l’étude de ces extraordinaires transcriptions. L’amie du
professeur Mohseni comprend mieux l’exaltation de celui-ci durant de
leur dernière rencontre à Téhéran alors qu’il quittait le palais de
Niavaran.
Pendant plusieurs mois dans leurs bureaux des
sous-sols de l’université ils pénètrent petit à petit un autre monde. Un
univers où l’Islam n’a pas sa place. Absorbés par leurs travaux, ils ne
notent pas les changements qui s’opèrent chez l’un de leurs thésards.
Peut-être est-il le seul qui vit réellement cette crise qui balaye tout
le pays. Un pays où les autorités religieuses imposent un pouvoir aussi
violent que peu tolérant. Est-ce la crainte ou la foi ? Dès que
l’organisation des moudjahidines du peuple iranien, parti opposé aux
islamistes radicaux, perd le contrôle de l’université, il quitte le
groupe sans rien dire. Quelques jours plus tard, un message arrive des
bureaux du « guide suprême de la révolution », l’ayatollah Khomeini. Il
ordonne la saisie des travaux et l’arrestation de tous les chercheurs.
L’amie du professeur Mohseni parvient grâce à l’aide de quelques
étudiants à fuir pendant l’intervention des pasdarans, les gardiens de
la révolution islamique. Une course folle dans les couloirs des
sous-sols. Un jeu de cachecache entre ombres et lumière. Enfin une porte
qui s’ouvre sur l’extérieur et une rue bruyante où elle émerge à la
limite de l’asphyxie. En cette après-midi grise de novembre 1979, elle
se déplace au sein d’une foule qu’elle ne reconnait plus. Qu’est devenue
Téhéran, la cosmopolite ? D’où sortent toutes ces silhouettes informes
noires et voilées ? Pourquoi ces hommes ne lui offrent-ils plus leur si
charmant sourire ? Effrayée par ce qu’elle découvre, elle peine à se
retenir de courir, mais elle doit avant tout éviter d’attirer
l’attention. Malgré cela elle ne peut s’empêcher de jeter régulièrement
des regards en arrière. La poursuivent-ils encore ? Après une longue et
surtout stressante marche, elle arrive devant les grilles de l’ambassade
américaine. Le bâtiment est assiégé par une multitude en colère. Tant
pis, elle ne peut plus reculer. Au culot et avec un énorme aplomb qui
réduit à néant ses dernières réserves d’énergie, elle force l’entrée,
écartant d’un même geste superbe Iraniens fanatisés et marines obtus.
Ayant été informé de son « exploit », le chargé d’affaires s’empresse de la recevoir.
- Vous devriez trouver refuge dans une représentation diplomatique
moins exposée, lâche-t-il à un moment pendant leur conversation.
- Jamais une ambassade n’a été violée, répond-elle d’une voix fatiguée.
- Ces jeunes exaltés me paraissent peu au fait des conventions internationales, murmure l’homme avec un sourire désabusé.
- Demain, peut-être. Ce soir, mes jambes ne me portent plus, souffle-t-elle.
Le lendemain, plusieurs centaines d’étudiants escaladent le mur
d’enceinte. Des images qui feront le tour du monde. Frappée de terreur,
la femme reconnait parmi eux ceux qui ont envahi hier les bureaux de
l’université. Après quelques minutes de confusions, les diplomates
américains sont pris en otage. Évacuée manu militari, comme les autres
Iraniens présents dans le bâtiment, plus personne ne reverra jamais
l’amie du professeur Mohseni.
En 1981, quelques mois après la
libération des otages américains, un dossier top secret sera archivé
dans les sous-sols du siège de la CIA : Les Ysthophraingiens. Seules
quelques personnes en connaissent le contenu exact. On prétend qu’il y
est question d’un calendrier antique et de la fin du monde. Une histoire
digne d’une prochaine aventure de ce nouveau héros interprété par
Harisson Ford, se gausse-t-on dans les cercles les moins informés de
Langley et de Washington.
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