J - 188
Le vieux singe
Je l’ai rencontré un jour. Il trainait entre
deux bars. Entre deux bars et deux barres. Il est né ici. Dans les années
cinquante. Pendant les trente glorieuses. On était allé chercher ses parents
dans leur pays. En Afrique. Pas dans une colonie, dans un département français.
L’Algérie. Ses parents ont quitté le quartier il y a déjà longtemps. Ils ont rejoint
leurs ancêtres. Où sont-ils maintenant ? Ils sont enterrés à quelques
kilomètres, mais où se trouvent leurs âmes ? Sans doute nulle part. Il a
tout connu ici, l’espoir des années soixante, la joie des années soixante-dix,
puis le déclin avec la fermeture des usines et enfin le rejet avec le chômage
et ses boucs émissaires. Aujourd’hui il ne croise plus que la haine.
Il est né ici, mais il n’y mourra pas. Dans
quelques mois ses barres seront détruites. La fin d’un monde n’est pas
forcément le début d’un meilleur, m’a-t-il confié devant un thé trop sucré.
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