Un craquement bruyant
accompagne la disparition du parebrise et de mon appui-tête. Le propriétaire
ignorera toujours que des balles les avaient meurtris auparavant. Toutefois je
doute que cela le console.
Gramokov quitte le
chantier par une porte, ouverte cette fois. À nouveau, les gardes nous
regardent passer l’air sidéré, à croire qu’ils n’ont jamais vu une Rolls ayant
subi un relooking extrême.
De retour sur le bitume,
notre Rolls, quoiqu’allégée, assure l’essentiel, elle nous maintient dans les
basques de l’ex-membre du KGB.
— J’ai compris où se
dirige notre homme, lancè-je à Duncan les cheveux au vent. Il faut le rattraper
au plus vite.
— Je fais ce que je
peux, mais je suis sidéré que cet engin roule toujours. Nous n’y arriverons pas
comme ça. Je vais essayer un truc.
Il appuie sur un bouton
et j’entends une série de déclics derrière nous. La capote sort de sa
protection et se déploie comme une aile face au vent nous ralentissant d’un
coup.
— Ben normalement, elle
aurait dû s’arracher.
— C’est une
Rolls-Royce ! Made in Britain, Duncan ! grondè-je juste avant qu’avec un bruit
sinistre l’objet ne se plie derrière nous sans se casser. Si c’était pour nous
alléger, c’est raté !
— Si tu as une autre
idée, à part celle de te proposer pour sauter par dessus bord, je suis preneur !
hurle-t-il avant de fixer à nouveau la route, pied au plancher.
Comme je l’imaginais, le
tout terrain finit par entrer dans une des nombreuses esplanades qui servent de
parkings aux différents ports de plaisance en construction.
Le Range s’arrête quasiment
sur le quai dans un travers poussiéreux. Pendant qu’un jeune faisant office de
voiturier tente de retrouver les clés que Gramokov a expédiées trop loin, ce dernier
part en courant vers les pannes. Deux d’entre elles
appartiennent à une société de location. Sans trainer, il s’engage sur la seconde. Au bout du ponton, un homme lui
fait signe depuis un puissant hors-bord. L’embarcation tourne au ralenti.
— Dépêche-toi d’y
aller, on va le perdre, criè-je.
— De toute façon,
s’il continue en bateau, on le perdra.
— Pas forcément, fais-moi
confiance.
Le général monte à bord d’une
bête de course, au vu des trois moteurs démesurés fixés à l’arrière. Deux
employés en descendent et larguent les amarres. Sans attendre, Gramokov pousse la manette des gaz.
Duncan stoppe notre
voiture juste derrière le Range. Seul l’avant dépasse et se voit depuis les
pannes. L’idée est excellente, une Rolls se reconnait toujours par sa calandre.
Par contre le jeune homme qui voit lui l’intégralité du véhicule ne se
précipite absolument pas en récupérer les clés. Bien au contraire, il préfère s’éloigner
comme si deux spectres venaient d’apparaitre. Sommes-nous si poussiéreux ?
En arrivant, j’ai repéré
au bout de la première panne un puissant cigare des mers en préparation. Le
port arrogant, je me dirige vers le quai flottant. Duncan suit dans
mes pas. Le nez de notre anglaise a
bien rempli son office. Résultat, le personnel n’a pas la hardiesse d’arrêter
deux gentlemans en costume descendant d’un engin de rêve — de rêve, de rêve... au
départ peut-être, car maintenant le rêve est passé. Non seulement ils ne nous
arrêtent pas, mais ils prennent leur plus beau sourire pour nous accueillir. En
moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, le patron se retrouve planant à un
mètre du sol, quelques secondes avant de faire plouf et de sentir l’eau tiède
envahir ses vêtements. Le mécanicien, descendant de notre future embarcation,
suit son boss sans même comprendre ce qu’il lui arrive, deuxième plouf. Les
moteurs de notre engin ronronnent au ralenti comme je saute à bord.
— Les amarres ! criè-je
à Duncan.
— Voilà Commodore !
Navire prêt à appareiller et équipage à vos ordres… attention, des pirates en
approche rapide sur la panne à bâbord !
Les aides se dirigent vers
nous ventre à terre.
— Hommes à la mer,
les alertè-je en leur désignant de la main leurs deux collègues.
Je mets violemment les
gaz et notre hors-bord bondit, telle une orque jaillissant de son aquarium lors
d’un spectacle aquatique. Une vague puissante submerge le ponton et bouscule
les malheureux qui s’y trouvent. Duncan, lui aussi surpris, finit retourné sur
la banquette arrière.
Je connais assez les
bateaux pour savoir que maintenant la situation est à notre avantage. Cette
bête s’avère bien plus rapide que celle de Gramokov.
Nous a-t-il vus ? En tout
cas, il trace sa route sans regarder en arrière.
Seul à son bord, le
général a pris plein nord. Une vingtaine de barges sont en train d’inspecter le
fond pour un projet d’aménagement d’iles artificielles au large de la ville.
Toujours cet immense chantier, même si dans ce cas la phase de début des
travaux demeure encore hypothétique. Notre homme espère peut-être pouvoir nous
semer dans ce dédale de plateformes et bateaux, à moins qu’un hélicoptère ne l’y
attende. Nous devons absolument le stopper avant qu’il n’y pénètre.
Pour cela, je ne vois qu’une
seule solution. Je pousse à fond la manette des gaz au moment même où Duncan
arrive enfin à se remettre sur pieds. Mon Lowlander finit de nouveau sur son
séant dans la profonde banquette à l’arrière du poste de pilotage. J’entends
distinctement, malgré le ronflement des moteurs, un juron des plus sauvages. Si
les habitants des Lowlands n’ont jamais fait de grands marins, pour les
insultes bien senties, ils rivalisent avec les plus terribles pêcheurs de la
mer du Nord.
Duncan ayant fini par me
rejoindre, je lui explique mon plan. Se tenant à deux mains, il gagne avec
peine la proue du bateau. Accroupi, coincé entre le bain-de-soleil et le plat
bord avant, il essaye de survivre aux embruns que lèvent nos claques sur une
mer que l’on imagine pourtant toujours calme. Il faut dire que je ne fais pas
dans le détail et notre passage fend les vagues en générant deux
impressionnants tsunamis.
La zone des travaux se
rapproche rapidement. On va bénéficier d’une fenêtre de tir on ne peut plus
étroite. Voilà ! Encore quelques secondes et nous serons à portée. Gramokov, mu
par je ne sais quel instinct, se retourne et nous voit fondre sur lui. Dans la
seconde, il vire sur tribord. Je vire de même, pour le plus grand malheur de
Duncan qui, surpris, vole alors qu’il s’apprêtait à tirer. Dans ses yeux
horrifiés, je devine la situation. À l’autre bout de son regard, je découvre
son arme de service qui glisse vers le bord. Dans une tentative de secours
irréfléchie, aussi inutile que désespérée, je roule sèchement sur bâbord pensant
faire revenir l’automatique au centre du bateau. Tout ce que je gagne, c’est de
projeter mon Lowlander en arrière et de manquer de l’assommer pendant que
l’arme saute par-dessus bord… les rats quittent le navire, version 9 mm.
Reste le .44 magnum, mais
n’est-ce pas un peu trop ? Oh, après tout tant pis ! Nous n’avons plus le
choix.
Je fais signe à Duncan
qui retrouve petit à petit ses esprits et lui lance le révolver en le faisant
glisser sur le pont.
Gramokov après cette esquive
a repris la direction des navires à l’ancre. J’engage à nouveau la poursuite.
L’homme parait penser qu’il va y arriver avant que nous puissions agir. Il ne
zigzague même plus. C’est sans compter la puissance de notre nouvelle artillerie.
Elle nous a transformés en croiseur, version Aurora, et notre ex-officier
soviétique ne va pas tarder à gouter à notre canon de prou. Nous ne sommes pas
en octobre, il ne sera donc pas chargé à blanc.
Une première détonation
annonce le début de la bataille. Raté ! Le général comprend qu’il n’est plus à
l’abri. Au moment où il amorce un changement de direction, un nouveau tir brise
la relative quiétude ambiante. Il est immédiatement suivi d’une violente
explosion à l’arrière du navire de notre ami. Une nourrisse de carburant ?
La déflagration projette Gramokov
à la mer. Pas de chance, il ne lui restait qu’une vingtaine de mètres avant de
bénéficier de l’abri des bateaux. Les coupe-circuits de son embarcation entrent
en action et celui-ci continue sans moteurs sur son erre. Déjà des flammes
s’élèvent.
Pas de temps à perdre.
J’amène notre navire à couple.
— Duncan, monte à
bord et récupère la mallette.
Pas de trace du Russe.
Pourtant il n’a pas dû tomber bien loin.
— Tu vois Gramokov
depuis le bateau, Duncan.
— Non, rien. Il vaut
mieux ne pas trainer, les réservoirs ne vont pas résister bien longtemps.
— OK, passe-moi
l’attaché-case et on y va.
— On n’est plus tout
seul, dit-il en désignant trois canots qui se dirigent vers nous, il semblerait
que notre vieil ennemi ait appelé des renforts avant de nourrir les poissons.
Ses cosaques vont être déçus.
— Dépêche-toi, je ne
crois pas qu’ils aient la déception joyeuse.
Duncan à peine remonté à notre
bord, je remets les gaz. Pendant que mon Lowlander s’envole à nouveau vers le
confort du canapé les quatre fers en l’air, je me faufile entre les barges. Le
bateau de Gramokov explose, provoquant une certaine agitation sur les plateformes
qui nous entourent.
Nous filons dans la
direction opposée, bien plus vite que nos poursuivants ne le pourraient pour
autant qu’ils arrivent à nous distinguer entre les navires et la fumée. Si la
police ne s’en mêle pas, cela devrait aller.
Bien plus tard, après
avoir remonté un chenal à l’eau trouble d’un vert glauque fort peu anglais, on
abandonne le bateau sur un quai proche du centre-ville historique.
Notre avion nous attend,
nous devrions atterrir à Londres en début de soirée. Nous avons récupéré la liste
de tous les agents russes en Europe occidentale que possédait Gramokov et ce
dernier est mort… enfin c’est ce que j’espère en marchant sous un soleil
brulant la mallette bien en main.
A
suivre... mercredi prochain
Si cette
nouvelle vous a plu, n'hésitez pas à retrouver mon univers dans "BONS BAISERS DE DUBAÏ" suivi de "BONS BAISERS DE JAKARTA" 600
pages de suspense : De nos jours, la course folle de deux agents de Sa Majesté
pour éviter un conflit majeur. Action, dépaysement et humour garantis. Existent en version électronique ou papier.
Bonjour Sassa, où êtes-vous passé ? Vous nous manquez !
RépondreSupprimerMême les espions ont droit à des vacances ! Merci beaucoup, je reprends à partir de mi-septembre !
Supprimer