mercredi 23 août 2017

"Vert anglais" 4/4, une nouvelle de SASSA




Un craquement bruyant accompagne la disparition du parebrise et de mon appui-tête. Le propriétaire ignorera toujours que des balles les avaient meurtris auparavant. Toutefois je doute que cela le console.

Gramokov quitte le chantier par une porte, ouverte cette fois. À nouveau, les gardes nous regardent passer l’air sidéré, à croire qu’ils n’ont jamais vu une Rolls ayant subi un relooking extrême.

De retour sur le bitume, notre Rolls, quoiqu’allégée, assure l’essentiel, elle nous maintient dans les basques de l’ex-membre du KGB.

— J’ai compris où se dirige notre homme, lancè-je à Duncan les cheveux au vent. Il faut le rattraper au plus vite.

— Je fais ce que je peux, mais je suis sidéré que cet engin roule toujours. Nous n’y arriverons pas comme ça. Je vais essayer un truc.

Il appuie sur un bouton et j’entends une série de déclics derrière nous. La capote sort de sa protection et se déploie comme une aile face au vent nous ralentissant d’un coup.

— Duncan ! C’est quoi ce truc ?


 

— Ben normalement, elle aurait dû s’arracher.

— C’est une Rolls-Royce ! Made in Britain, Duncan ! grondè-je juste avant qu’avec un bruit sinistre l’objet ne se plie derrière nous sans se casser. Si c’était pour nous alléger, c’est raté !

— Si tu as une autre idée, à part celle de te proposer pour sauter par dessus bord, je suis preneur ! hurle-t-il avant de fixer à nouveau la route, pied au plancher.

Comme je l’imaginais, le tout terrain finit par entrer dans une des nombreuses esplanades qui servent de parkings aux différents ports de plaisance en construction.

Le Range s’arrête quasiment sur le quai dans un travers poussiéreux. Pendant qu’un jeune faisant office de voiturier tente de retrouver les clés que Gramokov a expédiées trop loin, ce dernier part en courant vers les pannes. Deux d’entre elles appartiennent à une société de location. Sans trainer, il s’engage sur la seconde. Au bout du ponton, un homme lui fait signe depuis un puissant hors-bord. L’embarcation tourne au ralenti.

— Dépêche-toi d’y aller, on va le perdre, criè-je.

— De toute façon, s’il continue en bateau, on le perdra.

— Pas forcément, fais-moi confiance.

Le général monte à bord d’une bête de course, au vu des trois moteurs démesurés fixés à l’arrière. Deux employés en descendent et larguent les amarres. Sans attendre, Gramokov pousse la manette des gaz.

Duncan stoppe notre voiture juste derrière le Range. Seul l’avant dépasse et se voit depuis les pannes. L’idée est excellente, une Rolls se reconnait toujours par sa calandre. Par contre le jeune homme qui voit lui l’intégralité du véhicule ne se précipite absolument pas en récupérer les clés. Bien au contraire, il préfère s’éloigner comme si deux spectres venaient d’apparaitre. Sommes-nous si poussiéreux ?

En arrivant, j’ai repéré au bout de la première panne un puissant cigare des mers en préparation. Le port arrogant, je me dirige vers le quai flottant. Duncan suit dans mes pas. Le nez de notre anglaise a bien rempli son office. Résultat, le personnel n’a pas la hardiesse d’arrêter deux gentlemans en costume descendant d’un engin de rêve — de rêve, de rêve... au départ peut-être, car maintenant le rêve est passé. Non seulement ils ne nous arrêtent pas, mais ils prennent leur plus beau sourire pour nous accueillir. En moins de temps qu’il ne faut pour l’écrire, le patron se retrouve planant à un mètre du sol, quelques secondes avant de faire plouf et de sentir l’eau tiède envahir ses vêtements. Le mécanicien, descendant de notre future embarcation, suit son boss sans même comprendre ce qu’il lui arrive, deuxième plouf. Les moteurs de notre engin ronronnent au ralenti comme je saute à bord.

— Les amarres ! criè-je à Duncan.

— Voilà Commodore ! Navire prêt à appareiller et équipage à vos ordres… attention, des pirates en approche rapide sur la panne à bâbord !

Les aides se dirigent vers nous ventre à terre.

— Hommes à la mer, les alertè-je en leur désignant de la main leurs deux collègues.

Je mets violemment les gaz et notre hors-bord bondit, telle une orque jaillissant de son aquarium lors d’un spectacle aquatique. Une vague puissante submerge le ponton et bouscule les malheureux qui s’y trouvent. Duncan, lui aussi surpris, finit retourné sur la banquette arrière.

Je connais assez les bateaux pour savoir que maintenant la situation est à notre avantage. Cette bête s’avère bien plus rapide que celle de Gramokov.

Nous a-t-il vus ? En tout cas, il trace sa route sans regarder en arrière.

Seul à son bord, le général a pris plein nord. Une vingtaine de barges sont en train d’inspecter le fond pour un projet d’aménagement d’iles artificielles au large de la ville. Toujours cet immense chantier, même si dans ce cas la phase de début des travaux demeure encore hypothétique. Notre homme espère peut-être pouvoir nous semer dans ce dédale de plateformes et bateaux, à moins qu’un hélicoptère ne l’y attende. Nous devons absolument le stopper avant qu’il n’y pénètre.

Pour cela, je ne vois qu’une seule solution. Je pousse à fond la manette des gaz au moment même où Duncan arrive enfin à se remettre sur pieds. Mon Lowlander finit de nouveau sur son séant dans la profonde banquette à l’arrière du poste de pilotage. J’entends distinctement, malgré le ronflement des moteurs, un juron des plus sauvages. Si les habitants des Lowlands n’ont jamais fait de grands marins, pour les insultes bien senties, ils rivalisent avec les plus terribles pêcheurs de la mer du Nord.

Duncan ayant fini par me rejoindre, je lui explique mon plan. Se tenant à deux mains, il gagne avec peine la proue du bateau. Accroupi, coincé entre le bain-de-soleil et le plat bord avant, il essaye de survivre aux embruns que lèvent nos claques sur une mer que l’on imagine pourtant toujours calme. Il faut dire que je ne fais pas dans le détail et notre passage fend les vagues en générant deux impressionnants tsunamis.

La zone des travaux se rapproche rapidement. On va bénéficier d’une fenêtre de tir on ne peut plus étroite. Voilà ! Encore quelques secondes et nous serons à portée. Gramokov, mu par je ne sais quel instinct, se retourne et nous voit fondre sur lui. Dans la seconde, il vire sur tribord. Je vire de même, pour le plus grand malheur de Duncan qui, surpris, vole alors qu’il s’apprêtait à tirer. Dans ses yeux horrifiés, je devine la situation. À l’autre bout de son regard, je découvre son arme de service qui glisse vers le bord. Dans une tentative de secours irréfléchie, aussi inutile que désespérée, je roule sèchement sur bâbord pensant faire revenir l’automatique au centre du bateau. Tout ce que je gagne, c’est de projeter mon Lowlander en arrière et de manquer de l’assommer pendant que l’arme saute par-dessus bord… les rats quittent le navire, version 9 mm.

Reste le .44 magnum, mais n’est-ce pas un peu trop ? Oh, après tout tant pis ! Nous n’avons plus le choix.

Je fais signe à Duncan qui retrouve petit à petit ses esprits et lui lance le révolver en le faisant glisser sur le pont.

Gramokov après cette esquive a repris la direction des navires à l’ancre. J’engage à nouveau la poursuite. L’homme parait penser qu’il va y arriver avant que nous puissions agir. Il ne zigzague même plus. C’est sans compter la puissance de notre nouvelle artillerie. Elle nous a transformés en croiseur, version Aurora, et notre ex-officier soviétique ne va pas tarder à gouter à notre canon de prou. Nous ne sommes pas en octobre, il ne sera donc pas chargé à blanc.

Une première détonation annonce le début de la bataille. Raté ! Le général comprend qu’il n’est plus à l’abri. Au moment où il amorce un changement de direction, un nouveau tir brise la relative quiétude ambiante. Il est immédiatement suivi d’une violente explosion à l’arrière du navire de notre ami. Une nourrisse de carburant ?

La déflagration projette Gramokov à la mer. Pas de chance, il ne lui restait qu’une vingtaine de mètres avant de bénéficier de l’abri des bateaux. Les coupe-circuits de son embarcation entrent en action et celui-ci continue sans moteurs sur son erre. Déjà des flammes s’élèvent.

Pas de temps à perdre. J’amène notre navire à couple.

— Duncan, monte à bord et récupère la mallette.

Pas de trace du Russe. Pourtant il n’a pas dû tomber bien loin.

— Tu vois Gramokov depuis le bateau, Duncan.

— Non, rien. Il vaut mieux ne pas trainer, les réservoirs ne vont pas résister bien longtemps.

— OK, passe-moi l’attaché-case et on y va.

— On n’est plus tout seul, dit-il en désignant trois canots qui se dirigent vers nous, il semblerait que notre vieil ennemi ait appelé des renforts avant de nourrir les poissons. Ses cosaques vont être déçus.

— Dépêche-toi, je ne crois pas qu’ils aient la déception joyeuse.

Duncan à peine remonté à notre bord, je remets les gaz. Pendant que mon Lowlander s’envole à nouveau vers le confort du canapé les quatre fers en l’air, je me faufile entre les barges. Le bateau de Gramokov explose, provoquant une certaine agitation sur les plateformes qui nous entourent.

Nous filons dans la direction opposée, bien plus vite que nos poursuivants ne le pourraient pour autant qu’ils arrivent à nous distinguer entre les navires et la fumée. Si la police ne s’en mêle pas, cela devrait aller.

Bien plus tard, après avoir remonté un chenal à l’eau trouble d’un vert glauque fort peu anglais, on abandonne le bateau sur un quai proche du centre-ville historique.

Notre avion nous attend, nous devrions atterrir à Londres en début de soirée. Nous avons récupéré la liste de tous les agents russes en Europe occidentale que possédait Gramokov et ce dernier est mort… enfin c’est ce que j’espère en marchant sous un soleil brulant la mallette bien en main.


A suivre... mercredi prochain





Si cette nouvelle vous a plu, n'hésitez pas à retrouver mon univers dans "BONS BAISERS DE DUBAÏ"  suivi de "BONS BAISERS DE JAKARTA" 600 pages de suspense : De nos jours, la course folle de deux agents de Sa Majesté pour éviter un conflit majeur. Action, dépaysement et humour garantis. Existent en version électronique ou papier.







2 commentaires:

  1. Bonjour Sassa, où êtes-vous passé ? Vous nous manquez !

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Même les espions ont droit à des vacances ! Merci beaucoup, je reprends à partir de mi-septembre !

      Supprimer