Les deux véhicules
étaient postés à la hauteur du premier carrefour en sortant de la digue. Ils
nous ont pris en chasse dès que nous avons tourné à droite derrière notre ami
russe. Que peuvent-ils tenter sur cet ahurissant boulevard à deux fois cinq
voies ? Même dans une circulation aussi calme, une attaque en pleine ville
tiendrait de l’inconscience. La police émiratie ne pardonne pas.
— Ralentis un peu
jusqu’à ce que l’un d’eux vienne à ma hauteur, Duncan.
Question ralentir, mon Lowlander
ne fait pas dans la finesse et écrase d’un coup la pédale de frein. Le premier
Range dans un écart sur la gauche nous évite de justesse, pendant que le
deuxième se place où je l’espérais.
Immédiatement, son pneu
avant éclate dans un bruit de tonnerre. J’avoue être responsable des deux évènements.
L’éclatement du pneu, un projectile malencontreusement échappé de mon Walther
PPK. Le coup de tonnerre, la percussion malheureuse d’un projectile dans la
chambre de mon Walther PPK. Ce genre d’explosions peut passer inaperçu, surtout
s’il semble provenir d’un engin avec des roues de cette taille, mais j’avoue
que c’est un peu optimiste de l’espérer.
Le chauffeur, tout Russe
qu’il soit, ne peut éviter de se jeter dans le bas-côté. La conduite sur neige
en excès de vodka ne présente aucun intérêt pour se sortir de ce type de
situation, Yvan.
Aucune manifestation
d’une quelconque voiture verte et blanche de la police locale. Un miracle.
Par contre, j’ai peur que
la plaisanterie n’ait guère été appréciée par les occupants du deuxième Range. Sinon
pourquoi le passager ouvrirait-il sa vitre pour laisser dépasser un Scorpio
muni d’un volumineux chargeur ? Aucun sens de l’humour ces ruskoffs. Les
hostilités sont désormais déclarées et l’heure des essaims de guêpes furieuses
est arrivée. Sans capote cela risque vite de devenir désagréable. Notre engin a
beau posséder une taille démesurée et être propulsé par un imposant moteur de 7
litres, ses tôles ne sont pas vraiment plus épaisses que celles d’une « Clio
pas assez chère, mon fils », une épaisseur notoirement insuffisante face à
ce type de calibre.
Tout cela n’impressionne
guère mon Duncan qui dans une manœuvre d’une simplicité audacieuse vient nous
placer au niveau de la portière du chauffeur. Le 4x4 est haut, notre
décapotable basse. Si le tireur veut agir, il va devoir se faufiler entre les
sièges, ce qui n’a rien d’évident dans l’engin en question. Le confort de ses passagers
a été obtenu au détriment de leur transfert de l’avant vers l’arrière. À la
décharge du constructeur, la manœuvre n’est pas des plus courantes, même en
Russie.
Je vais de plus pouvoir
réitérer mon « opération tonnerre » version crevaison. Le sourire aux
lèvres, tout en fixant le chauffeur, je vise le pneu et presse la détente. Un
horrible grincement me répond. Enrayé.
De son côté, le conducteur
russe abaisse sa glace. Songe-t-il à m’offrir un ricanement bien mérité ? Pas
vraiment ! Avec lenteur il dégaine un discret .44 magnum canon long, digne d’un
mauvais opus de l’inspecteur Harry. L’homme n’a aucune hésitation et, comme son
héros, sort l’arme par l’ouverture dans la portière. Voilà qui risque de mettre
un terme à la chevauchée de la horde de chevaux — au nombre toujours inconnu
chez notre constructeur national — qui se cache sous notre capot.
Sans lui laisser l’opportunité
de déclencher cette hécatombe, je saisis de ma main gauche le volant de la
Rolls et fais faire un écart à notre voiture jusqu’à la placer contre le Range.
Rendant la conduite à Duncan, j’attrape le poignet du boucher chevalin.
Ma clé détourne son
pistolet et l’oblige à renoncer à presser la détente. Sa victoire n’est que
remise, car mon adversaire doit aussi avoir Schwarzy comme idole. Ses muscles lui
ouvriraient aisément la porte du prochain casting pour Conan le barbare. Ses
muscles et son regard vide.
À ce jeu-là, je ne vais
pas pouvoir tenir longtemps et il le sait. Une étincelle d’intelligence surgit
même dans ses yeux. Non, ce n’est que le reflet du soleil sur les glaces d’un
immeuble en construction. Décidément, cette ville n’est qu’un chantier à ciel
ouvert.
Sa main petit à petit s’impose
dans ce bras de fer sans table. L’arme peut à tout moment percer le superbe
capot de la Rolls. À moins qu’en l’honneur de Crom, son dieu barbare, il ne
préfère d’abord détruire la victoire de Samothrace qui orne notre calandre ?
Je puise dans mes dernières
réserves pour repousser ce guerrier sibérien quand la surprise fige son visage.
Je tiens son avant-bras dans mes mains. Un poteau vient de passer entre nos
deux voitures et à cette vitesse, il a tranché notre bras de fer en ma faveur.
J’hérite d’un révolver peu discret remis en main propre par son propriétaire.
Euh, pas si propre que ça, tout compte fait. Je décroche l’arme et jette délicatement
sur la route les restes sanguinolents du Russe. Un chien ou un faucon tentera
bien de s’en emparer au milieu de la circulation.
Le nouveau manchot ne
maitrisant pas encore totalement son handicap, engage son Range dans un travers
sans issue. Je vois le regard effrayé du passager coincé entre les sièges avant
et arrière. Dans un réflexe absurde, il pointe vers nous son Scorpio et presse
la détente. Les vitres du 4x4 volent en éclats au moment même où il amorce un
tonneau. Le bruit de la tôle froissée se mélange à celui des munitions
qu’expulse le canon de l’arme.
Un fracas bien moins
discret que celui du pneu. Peu de chance que cela passe inaperçu. D’autant que
si les balles nous épargnent, tout le monde ne peut pas en dire autant. Une
superbe blonde conduisant une Ferrari rouge vient d’avoir droit à une
coloration très assortie à la carrosserie de sa voiture. Le nez dans le volant,
elle semble regretter sa nouvelle couleur. Je doute fort qu’elle parte au
shampoing, même chez les meilleurs embaumeurs. Autorisation de tuer… Gramokov
oui, mais pas toutes les Barbies de l’émirat, sinon nous ne sommes pas au bout
de nos peines.
Trêve de sensiblerie, la
mission est loin d’être arrivée à son terme. Une chose est sure, ces deux
véhicules-là ne nous ennuieront plus. Concernant le .44 magnum, son barillet
est plein et la crosse à peu près propre. Il pourra encore servir faute de
Walther PPK.
Comme prévu, les
acrobaties des conducteurs russes ne sont pas passées inaperçues… et le
voisinage répété d’une Corniche convertible n’a pas été considéré comme un pur hasard
par la police locale. Le véhicule blanc et vert, qui nous suit sirène hurlante,
ne tente pas de nous rattraper pour un simple excès de vitesse. Ici, on ne
course pas une Rolls sans une extrême raison.
Pour l’instant, les deux
Range du général ne se sont pas trop éloignés. Espérons que cela continue ainsi
malgré cette nouvelle péripétie.
— Duncan, on fait
quoi du bandit sur l’arrière ?
— Je peux aisément
distancer leur japonaise poussive avec notre tank, mais je ne suis pas sûr que
cela nous avance beaucoup.
— Pas question, non
plus, de les combattre. La discrétion de notre opération en prendrait un
sérieux coup.
— La discrétion !
pouffe Duncan.
Les policiers arrivent
presque à notre hauteur quand Gramokov s’engage sur une voie latérale. Un des accès
au chantier d’un futur complexe commercial. Une monstruosité incluse dans un rondpoint
à la taille des ambitions démesurées de l’émir. Nos ennemis n’auront aucun mal à
nous semer dans cette folie de fer déjà rouillé et de béton encore humide.
Surtout avec la police à nos trousses.
Duncan ne parait pas
vouloir les suivre. Nous approchons de la sortie et mon Lowlander occupe
toujours la file centrale de cette autoroute à cinq voies. La voiture bicolore se
trouve à quelques mètres derrière nous et utilise tous ses chevaux pour nous
rattraper.
Cette trop grande et trop
longue proximité me fait regretter le coupé. Au moins, le toit nous aurait
isolés des décibels de la sirène émiratie. C’est surprenant de voir combien les
sirènes modernes vous donnent envie de les fuir, pauvre Aglaophonos à la si belle
voix.
Je me tourne vers Duncan,
la sortie approche, plus que quelques mètres.
— Duncan, hurlè-je
en lui montrant les Ranges qui s’éloignent.
Le jeunot me retourne un
sourire et nous précipite contre un vieux pickup qui roule tranquillement sur
la deuxième file. Les trois chèvres qu’il porte sur le plateau nous regardent arriver
d’un œil vide.
A
suivre dans l'épisode 3/4... mercredi prochain
Si cette
nouvelle vous a plu, n'hésitez pas à retrouver mon univers dans "BONS BAISERS DE DUBAÏ" suivi de "BONS BAISERS DE JAKARTA" 600
pages de suspense : De nos jours, la course folle de deux agents de Sa Majesté
pour éviter un conflit majeur. Action, dépaysement et humour garantis. Existent en version électronique ou papier.
ça commence à être très bien, sauf pour Cohen le barbant ! A+ Man
RépondreSupprimerToujours ce même style alerte, qui va au rythme de l'action décrite... et cette pointe d'humour "british" (on aime ou pas, et moi j'aime pas trop, mais comme c'est un choix délibéré de l'auteur(e), faut faire avec et le respecter)
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