mercredi 2 août 2017

"Vert anglais" 1/4, une nouvelle de SASSA



L’ordre est venu de tout en haut. Autorisation de tuer à l’appui.

Éliminez Gramokov et récupérez les documents !


Deux des gardes du corps de l’ancien chef de section du KGB gisent déjà dans un recoin sombre du bâtiment. Divergence musclée de points de vue avec nous. Elle a plombé l’échange que l’ex-général soviétique envisageait. Son rendez-vous avec le conseiller de l’émir est remis à une date ultérieure. Le cousin du Roi n’aura pas la liste. Notre ami russe a pris la tangente et nous l’avons perdu de vue dans les méandres de ce labyrinthe.


L’idée de Gramokov n’était pas si mauvaise. Se servir de l’agitation causée par la visite de l’émir sur le chantier de son projet pour l’an 2000, pour remettre les documents. Cela lui assurait à la fois une certaine discrétion et une bonne sécurité. L’ensemble du personnel des lieux était en ébullition. Ouvriers, ingénieurs, invités, officiels, militaires… personne ne connaissait ses voisins. Des gardes trainaient de partout, l’œil aux aguets soupçonnant tout un chacun et la nécessité d’emprunter la digue reliant l’ile artificielle à la côte interdisait d’approcher sans autorisation d’accès.





Si au départ tout ceci nous avait aidés, nos costumes de Savile Row nous ayant permis de passer inaperçus parmi les invités autour du buffet, cette compagnie trop luxueuse commençait à se retourner contre nous. On ne fait pas d’omelette sans casser d’œufs — d’esturgeons ici — et l’on ne stoppe pas des ex-spetsnazs sans se salir un peu. Désormais, trop de poussière de ciment nous recouvre pour être honnête.


Par une baie vitrée non encore revêtue de verre, j’aperçois notre général et deux de ses gorilles qui se dirigent vers le terreplein du parking officiel. L’endroit grouille de Rolls-Royce et de limousines. Ainsi que des Men In Black qui vont avec ! Je ne comprendrai jamais cette manie qu’ont les gardes du corps de s’habiller toujours en noir… surtout dans un pays où le blanc prévaut pour les tenues. D’accord, le costume est plus pratique que la djellaba pour défourailler, mais pourquoi choisir le noir ? 


Gramokov vient de monter à bord d’un Range Rover du plus beau vert anglais. Ses sbires le suivent dans un second. Le convoi s’engage sur la digue en direction du centre-ville. 


Un camion obstrue la route devant eux. Voilà qui devrait les ralentir suffisamment pour nous permettre de réagir, car nous sommes à pied. Nous avons rejoint l’ile artificielle en canot pneumatique hier soir. Depuis l’engin repose sur le fond, discret, mais définitivement inutilisable. Nous allons devoir emprunter une voiture. Non seulement nous sommes sans véhicule, mais en plus au deuxième étage du building, ce qui dans ce mégalomaniaque édifice correspond à la hauteur d’un quatrième. 


Une combinaison de contraintes qui oblige à des solutions simples, pas de temps à perdre. 

— Duncan, prêt ?

— Prêt à quoi ?

— Au grand saut bien entendu, lancè-je en prenant d’une main le tuyau d’incendie enroulé sur le mur et en m’élançant à travers une baie vitrée fort heureusement déshabillée.


C’est le moment de vérifier que j’ai de bons yeux et que le bon droit est avec moi. 

— T’es dingue ou quoi ? marmonne Duncan en me rejoignant derrière une palette de sacs de ciment au niveau du rez-de-chaussée.

— Y avait bien écrit 15 mètres sur la carcasse de la lance à incendie, non ?

— Oui, je sais, mais le garde à côté de la grue ! Il s’est détourné juste à ce moment-là. Une seconde plus tôt, il te voyait.


Ah, un garde. Mais qui s’est détourné, le bon droit est effectivement avec moi. Les deux Range Rover se trainent toujours sur la digue derrière le camion-benne. 

— Je me suis souvent demandé si une Rolls pouvait être démarrée en court-circuitant les fils sous le volant, murmurè-je à l’oreille de Duncan en désignant le véhicule le plus près de la sortie. 


À son air dubitatif, je comprends qu’il n’y croit pas trop. Pas le temps d’avoir des états d’âme.

— Vas-y, je te couvre. Dès que le moteur tourne, je te rejoins.


La plupart des gardes se trouvent du côté de l’entrée du gratte-ciel, tuant l’ennui avec les chauffeurs. En même temps, une ile artificielle avec une digue d’une centaine de mètres de long et la moitié des forces de sécurité émiraties sur le secteur, ce n’est quand même pas l’endroit où l’on s’attend à « se faire tirer sa caisse ». En plus qui pourrait songer à voler une voiture de la suite de l’émir… ben nous !  


Mais que trafique mon Lowlander ? C’est le coupé que j’avais montré, pas la décapotable ! Question discrétion, cheveux aux vents, cela va le faire moyen. 


Mon jeune équipier — les années passent mais cela ne changera jamais dans mon esprit — a disparu sous le tableau de bord depuis un moment déjà. 


Le camion arrive près de la fin de la digue quand un garde arrive près de la Rolls. Advienne que pourra, je fonce.


L’homme vient de marquer un temps d’arrêt. Il fixe la voiture où le mécano de Sa Majesté est en action. Sa main droite glisse sous sa veste pendant que la gauche rapproche dangereusement un talkiewalkie de sa bouche. L’arme sort de son holster et au même moment son doigt commence à enfoncer le bouton d’appel. À trop se concentrer sur son objectif, on en oublie de protéger ses arrières.


Un appui sur la capot du coupé et mes jambes volent jusqu’au dos de l’homme. Le choc l’envoie s’écraser contre la portière comme la tête de mon Lowlander favori réapparait un sourire aux lèvres. Le ronflement subtil du V8 accompagne le craquement plus sec que produit le crâne du garde quand il rencontre la tôle. En voilà un qui ne nous cherchera plus noise. Pas de temps à perdre, la chasse est ouverte.


Contourner ce wagon serait trop long, je saute directement à l’arrière de la décapotable pendant que Duncan prend le volant. Le monstre de deux tonnes se met en mouvement dans un ronronnement de matou confortablement installé sur son canapé. Par chance, un camion nous précède en direction de la digue et le nuage de terre qu’il lève derrière lui rend notre passage on ne peut plus discret.


Mon pilote comprend très vite tout l’inconvénient de notre situation. Non pas tant le côté de plus en plus poussiéreux de nos costumes, de toute façon ils sont bons pour le pressing, mais plutôt celui de notre urgence contrariée. Si le camion nous protège, il nous ralentit aussi. Si nous le suivons, nous perdons notre cible, si nous le dépassons, nous devenons une cible. Cruel dilemme… enfin pour quelqu’un de plus introspectif que lui. C’est ce que j’ai toujours apprécié chez lui, ce côté ingénument impulsif, bien que parfois avec les femmes cela lui joue des tours. Mais cela ne l’empêche pas de remonter en selle et bien souvent sur la même pouliche. 


À une dizaine de mètres de l’entrée de la digue, il se décale de l’arrière du camion et écrase l’accélérateur. C’est là que l’on voit toute la différence entre un cheval cabré italien et un pur-sang anglais. Ce qui chez le premier aurait conduit à un rugissement hystérique des turbocompresseurs de son V8 se traduit par un feulement tout en retenue du nôtre. Et là où le premier serait passé sans soucis, nous ne devons qu’au freinage du camion de ne pas finir sous son pare-choc.  


L’objectif est heureusement atteint, nous roulons devant et notre cible est encore en vue. Cerise sur le loukoum, le poids lourd qui nous suit va interdire à quiconque de nous poursuivre. Duncan continue d’écraser la pédale sous son pied droit et je dois bien avouer que la bête que nous chevauchons accroit sa vitesse sans discontinuer levant à son tour un joli nuage derrière nous. 


Alors que je m’installe enfin à l’avant du véhicule — après avoir marqué l’épais cuir crème des sièges de l’empreinte de mes chaussures, crime digne de lèse-majesté —, j’envisage plus sereinement la suite des évènements. Nos amis ne conduisent pas des Maserati, mais de bons vieux gros 4x4 anglais. Si la police émiratie ne s’en mêle pas, cela devrait le faire, d’autant que la fin de la digue pointe déjà devant nous et que les deux Range viennent seulement de tourner à droite dans un grand boulevard.


Sauf erreur, cette avenue traverse la ville et ensuite prend la direction d’une vaste zone désertique. L’endroit sera parfait pour régler définitivement son compte à notre homme. Du moins, s’il ne décide pas d’emprunter une piste entre sable et cailloux. Sinon j’ai peur que notre belle anglaise refuse de s’engager sur de pareils chemins de traverse, noblesse oblige.


Mais nous n’en sommes pas encore là. Gramokov a visiblement prévu une protection renforcée en ville. Deux Range Rover bien trop semblables au sien approchent par l’arrière. 


A suivre dans l'épisode 2/4... mercredi prochain





Si cette nouvelle vous a plu, n'hésitez pas à retrouver mon univers dans "BONS BAISERS DE DUBAÏ"  suivi de "BONS BAISERS DE JAKARTA" 600 pages de suspense : De nos jours, la course folle de deux agents de Sa Majesté pour éviter un conflit majeur. Action, dépaysement et humour garantis. Existent en version électronique ou papier.







1 commentaire:

  1. Génial, comme d'habitude...
    Tu ne pourrais pas nous faire un peu de porno pour changer ?
    Bon... Je sors.

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