Tokyo. Fin de semaine. Circulation
chargée au pied de notre immeuble, comme chaque jour. L’ascenseur panoramique
nous ramène à notre étage après un petit déjeuner vite expédié. Un calme déprimant
noie l’hôtel sous son ennui.
Le rendez-vous entre l’envoyé
du général Gramokov et les Yakuzas est prévu cette après-midi. L’homme doit
rencontrer le Wakagashira du
clan des Nakudo. L’émissaire débarquera de l’avion de Nagasaki. Son entretien avec
le principal lieutenant du chef de cette organisation criminelle doit avoir
lieu dans un salon de l’aéroport réservé
à cet effet.
Nous allons passer les
prochaines heures à fourbir nos armes dans l’attente de la fin de cette
entrevue. L’homme ne doit en aucun cas repartir de Tokyo à son issue. Sa
disparition, attribuée aux Yakuzas, devrait réduire à néant cette nouvelle
tentative de l’ancien général soviétique.
Les portes de l’ascenseur
s’ouvrent sur notre étage avec leur sempiternel ding-dong.
Au milieu du couloir,
quatre très jeunes femmes se dirigent vers nous. Voilà une occupation
potentielle bien plus amusante que de lubrifier du métal. Quelques années en
arrière effectivement, aujourd’hui, je les trouve bien trop jeunes à mon gout.
Duncan ne semble pas
partager mes scrupules. Cinq ans d’écart feront toujours la différence, d’autant
que mon ami est resté très jeune de caractère.
De tailles proches et
vêtues comme les écolières d’un même collège, les belles manifestent leur
personnalité dans leur coiffure. La première porte une coupe très sage qu’une
mèche rose fend à l’avant. La deuxième arbore une queue de cheval blond platine
alors que le reste de ses cheveux sont d’un noir de jais. La troisième cache ses
yeux sous un bol uniforme. Quant à la dernière, c’est par une offense à sa
féminité qu’elle se caractérise, elle s’est intégralement rasée. Les belles se
dirigent vers nous en passant le bout de leur langue rose sur leurs lèvres
charnues avec une surprenante coordination.
Les Coréens auraient-ils
organisé une audition dans cet hôtel ? Des rumeurs persistantes annoncent
depuis plusieurs mois leur intention de lancer un Girls Band. Ce serait une
nouveauté de la part d’une grande maison de disque, mais nous ne sommes pas là
pour approfondir la question.
Quoique, si j’en juge par
l’attitude de Duncan, il s’y prépare.
Un pli d’ironie au coin
des lèvres, je glisse mon regard le long d’une de ces tendres hanches roulant
vers moi. Duncan entrouvre sa bouche pour lancer ses rets. Je n’ai que le temps
de le pousser de côté… lui évitant une lame effilée brandie par cette belle aux
yeux cachés. D’un bond en arrière, j’esquive le talon aiguille de l’escarpin
noir de la pony girl. Quelles âmes perverses se trouvent face à nous ? Nos
pensées équivoques ont-elles à ce point offensé ces jeunettes qu’en elles,
elles aient provoqué cette rage brutale ?
Dans un silence
inquiétant, les proies deviennent chasseresses. Deux par deux, elles se meuvent
vers nous. Immédiatement, mes deux adversaires, telles des athlètes en natation
synchronisée, lancent vers moi une myriade de bras et de jambes. Si tout cela
me permet de noter que chacune porte une jolie culotte de soie blanche, comme
quoi l’esprit masculin se montre parfois surprenant, je ne dois ma sauvegarde
qu’à un nouveau bond en arrière. Trop de couperets de chair m’attaquent
simultanément pour que je puisse y répondre. Duncan subit les mêmes assauts
avec chez lui, le couteau qui y rajoute le piquant d’un tranchant de fer.
La situation ne peut pas
durer, car elle est significativement à notre désavantage si nous jouons franc
jeu. Je me dois de fausser la partie, tant pis pour ces poupées. Ce matin, une
prémonition m’a fait sortir couvert. Dans un nouveau bond en arrière, je
dégaine mon lance-dard. Plop. Celle à la mèche rose s’effondre. Plop. Les yeux
cachés qui couvaient Duncan de leur regard se ferment et le couteau tombe.
Aïe ! Profitant de ce que
j’aligne une nouvelle de ses compagnes, la dernière des ex-futures amantes de
Duncan avec qui j’entretiens une relation suivie depuis quelques secondes,
envoie sa délicate cheville contre mon fruste poignet. Et son mignon
cou-de-pied fracassant ma main, mon arme vole.
Nous nous trouvons
désormais à un contre une dans un silence oppressant. Une roulade et mon
ennemie attrape le couteau au sol pour le retourner contre moi. Au même moment,
l’adversaire de Duncan, jugeant la situation sans doute moins à son avantage,
sort elle aussi un poignard. Tout cela va mal finir, les femmes étant toujours
plus douées que nous ne le sommes, avec des instruments de cuisine.
Je saisis un des
fauteuils du hall, pour tenter de dompter mon fauve. Un obstacle enfin entre
elle et moi, je cherche une option. L’artiste se révèle chez ma belle. Elle
enchaine acrobatie sur acrobatie pour franchir mon barrage. Toute mon attention
sur elle, je n’en prête guère à Duncan.
Tout à coup, un éclair
noir passe à l’extrémité de mon champ de vision. Un gong sonore retentit. La
tigresse face à moi est un instant troublée, je bondis sur elle espérant la
déséquilibrer avec l’aide de ma chaise, mais la jeune femme est douée et
esquive mon attaque. Ce qui lui fait négliger mon partenaire... fatale erreur, car
ce dernier se trouve au même moment sans adversaires. Un nouveau gong vibrant
met un terme à son show.
Et le combat cesse faute
de combattants.
Duncan repose le
cendrier-poubelle noir avec lequel il vient de les assommer tout en soufflant
telle une forge.
— Ce qui démontre
qu’un groupe anglais de garçons dans le vent reste plus longtemps sur scène que
des Japanese girls ! lancè-je.
— Et que pour
s’envoyer en l’air, les filles, rien ne vaut de bons accessoires, rajoute
Duncan rageur en regardant les quatre pantins désarticulés.
À travers le fin voilage
d’une chemise blanche, je discerne un vaste dragon multicolore. Yakuza ! Cette
affaire japonaise prend une mauvaise tournure. Depuis le début, nous avançons à
découvert, à croire que ces gangsters connaissent tout de nos plans. L’heure
est venue de les surprendre.
Vite fait, nous ramenons
ces petits corps dans ma chambre. Il est indispensable de mettre un terme à ces
rencontres qui si elles étaient agréables au début deviennent pesantes. Nous
ficelons tous ces tendrons asiatiques sur mon lit. Ce n’est pas du grand art
question bondage, mais ce sera efficace à n’en pas douter.
Nous devons nous
expliquer avec ce Wakagashira avant
qu’il ne voie l’homme de Gramokov. Je pense que ce que je viens de glisser dans
ma poche devrait le pousser à m’accorder un peu de son attention.
Refermant la porte, je
place sur sa poignée le panonceau « ne pas déranger ». Je n’aimerais pas
que la femme de ménage tombe sur nos belles au bois dormant.
Pendant que Duncan tente
de nous frayer un chemin vers l’aéroport en testant dans les diverses
contrallées et autres trottoirs les capacités tout-terrain de notre 4x4
japonais de location, je préviens notre agent de liaison sur l’ile. L’homme ne
m’inspire pas confiance, alors je lui demande simplement de venir récupérer nos
affaires dans notre chambre. Nous ne retournerons pas à l’hôtel après l’opération
de cette fin d’après-midi, lui précisè-je. On pourra le juger à sa réaction
quand il découvrira nos jeunes dindes ficelées. Espérons qu’il n’ira pas les
larder.
Le costaud qui veille à
l’entrée du salon privé s’effondre. Duncan me sourit, fier de lui. Une fraction
de seconde plus tard, nous surgissons dans la salle, l’arme au poing,
surprenant le lieutenant Yakuza et ses gardes du corps.
— On reste calme,
m’écriè-je avant que qui que ce soit ne puisse réagir. Nous souhaitons juste
discuter, alors demandez à vos kyodais de se tenir tranquilles.
Le Wakagashira lâche un
simple mot en japonais. Aucun de ses hommes de main ne bouge, mais je vois bien
à leurs yeux étroits qu’ils n’attendent qu’une bonne occasion. Nous allons
devoir la jouer serré si l’on veut éviter une fin digne d’un film de samouraïs.
— Je tenais à vous
remercier pour les charmes de vos attentions matinales, commencè-je avec un
grand sourire. Après l’hôtesse de l’air, ces quatre adolescentes étaient d’une
subtile délicatesse.
Quand j’ai prononcé le
terme d’adolescentes, les yeux de mon adversaire m’ont jeté des tantos. Ces
couteaux m’auraient tué sans l’ombre d’un doute. D’un geste sec, je lance
quatre pièces de lingerie fine à ses pieds.
— Après avoir fessé
vos fillettes comme il se devait, il n’était pas envisageable de leur remettre
ces culottes, donc je les ai ramenées à leur maitre. Ne vous inquiétez pas, à
part cela, il ne leur manque rien.
Les mâchoires de l’homme
ne se desserrent pas. Les fentes de ses yeux n’existent quasiment plus sous ses
lunettes carrées. Ses joues naturellement creuses se gonflent. Dans son costume
anthracite, je sens ses muscles se tendre. Pour un Oriental, il affiche le
summum de la colère.
— Suite à cet échec,
j’espère que vous n’exigerez pas qu’elles s’amputent leur petit doigt,
l’excision est mal vue au Royaume-Uni, lâche Duncan perfide.
— Si nous sommes
admiratifs devant vos gouts, continuè-je avant de le laisser réagir, nous
sommes surpris que vous ne nous pensiez pas dignes de vos hommes. Comment
doit-on le prendre ?
Le regard de mon
adversaire quitte Duncan pour revenir sur moi. Sa tension vient de monter
encore d’un cran, ce que je croyais impossible. Devant un tel langage, s’il ne
veut pas engager la guerre, il ne lui reste qu’une option, qu’il choisit à mon
immense soulagement.
— Monsieur Young, je
vous prie d’accepter mes excuses, murmure-t-il en ouvrant à peine ses lèvres.
Les... quel terme avez-vous employé ? adolescentes étaient en effet une faute.
L’hôtesse de l’air devait vous délivrer un message courtois, mais pour celui de
ce matin, j’en conviens, des tueurs plus âgés auraient été de meilleur aloi.
— Merci pour cette
tardive marque d’estime et nous l’accueillons avec joie, lui lancè-je avec un
petit sourire.
— Cependant, il est
temps que vous, services britanniques, compreniez que le Sud-est asiatique ne
fait plus partie de vos dominions. L’époque où vous y faisiez régner une loi
sans partage s’est close avec les années 40, reprend-il en haussant le
ton. Vos responsables politiques et militaires, eux, l’ont bien admis, sinon
pourquoi abandonneraient-ils Hong Kong l’année prochaine ?
À mon tour de le regarder
sans rien dire.
— Pourquoi persistez-vous
à mettre votre nez dans nos affaires ? s’écrit-il. La mer de Chine retourne
désormais à ses puissances régionales : Les Corées, la Chine et nous. Alors
pourquoi interférez-vous ? Je pensais que des gentlemans avaient l’élégance de
se retirer discrètement quand ils ne sont plus désirés.
— Pour ce qui est de
se retirer au bon moment, parlez-en à vos girls, elles vous vanteront nos
qualités, jette un Duncan décidément un peu lourd.
— Excusez mon
collègue, il a vécu des journées difficiles. Vos jeunes femmes n’ont rien subi
de tel.
— Nous traversons
tous des jours difficiles. Toutefois, sachez que si le MI6 persiste à
interférer avec nos affaires, nous considèrerons que vos services se livrent à
une guerre injuste à notre égard.
— En quoi le Russe
constitue-t-il vos affaires ? En quoi des documents concernant l’Europe
participent-ils à vos affaires ? Alors oui, si vous ne mettez pas un terme
immédiat à cette opération, le MI6 rentrera en guerre contre vous. Vous pensez
que nous ne pouvons plus agir. Vous avez tort, Hong Kong demeure encore
britannique et nous n’ignorons rien de tout ce qui s’y trame. Que
préférez-vous, quelques papiers sans grandes valeurs pour vous, ou préserver
vos activités quand le territoire passera sous la coupe communiste ?
Mon interlocuteur accuse
le coup.
— Les triades
chinoises n’aiment guère partager et quelques informations transmises
pourraient saper votre bel édifice.
Le Wakagashira me regarde
sans rien dire. Ses hommes commencent à tendre leurs muscles. Les cous
gonflent. La pression va croissant.
Sans même répondre, le
Yakuza lance un nouvel ordre en japonais. Avec ses kyodais, il quitte la pièce,
méprisant totalement nos automatiques. Les quatre triangles de soie restent au
sol, à l’endroit où je les ai jetés.
Derrière les grandes
baies vitrées du salon privé désormais déserté, le vol de Nagasaki se pose sans
bruit.
A
suivre... mercredi prochain
Si cette
nouvelle vous a plu, n'hésitez pas à retrouver mon univers dans "BONS BAISERS DE DUBAÏ" suivi de "BONS BAISERS DE JAKARTA" 600
pages de suspense : De nos jours, la course folle de deux agents de Sa Majesté
pour éviter un conflit majeur. Action, dépaysement et humour garantis. Existent en version électronique ou papier.
Bon bien immergée dans l'ambiance. Juste de petites suggestions que je te ferai en mp. Bravo
RépondreSupprimerFaites, belle dame, faites ! Et merci encore.
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