vendredi 20 octobre 2017

"Ses ennemis le trouvent Mortel", une nouvelle de SASSA







D’abord le bleu lumineux du ciel, puis le blanc éclatant des nuages. Un peu partout des trouées montrant un sol vert sombre plusieurs milliers de mètres plus bas. Très vite une couche opaque de givre recouvre la visière de mon masque. Je perds la vue pendant qu’un froid intense m’emprisonne.

Deux sensations qui déchirent l’instant et me projettent au cœur d’une mission deux ans plus tôt.

L’aveuglement et le froid, là-bas aussi. Désagréables souvenirs. Une opération à priori simple qui avait tourné à l’enfer.

J’avais été envoyé au Nigéria pour identifier un groupe de pirates. Ceux-ci menaçaient régulièrement plusieurs installations de Shell dans le delta du Niger. Rançons successives et exécutions sans raison avaient conduit à notre intervention. Une fois localisés, les forces spéciales les auraient ensuite neutralisés.

 

Ils se faisaient appeler les Ainés et leur chef, l’Archevêque. J’avais remonté leur piste jusqu’à Lagos, la capitale économique du pays. J’étais en train d’observer un luxueux yacht à quai. Je sentais que cette sublime cathédrale marine abritait leur quartier général. Je cherchais une façon de m’y introduire quand un lourd goupillon, à moins qu’il ne s’agisse d’une crosse, avait béni un peu trop violemment mon crâne et avait éteint la lumière.

Je me réveillai dans un froid mordant, ébloui par le brouillard d’une clarté excessive. Ma vue s’accoutuma petit à petit et mes yeux découvrirent un lieu aux parois blanchies par la glace.

Enfermé dans une pièce frigorifique, condamné à mourir congelé, un comble en Afrique équatoriale, pensai-je émergeant peu à peu.

J’avais pris un sacré coup sur la tête, mais ce n’était pas à celui-ci que je devais cette désagréable sensation de vertige. Je me trouvais à bord d’un navire. Probablement celui que je surveillais avant de me faire assommer.

Soudain un frisson excessif me parcourut. Il ne dut rien à la température extrême de l’endroit. Je venais d’entrevoir un corps recroquevillé sur ma gauche. Couché sur le sol en position fœtale, il était nu et avait la peau comme habillée de givre bleuté. Je m’approchai pris d’un terrible pressentiment. Un cadavre de femme. Sans doute ici depuis plusieurs jours. Je déplaçai avec difficulté ses cheveux raides pour découvrir son visage, c’était celui de mon contact au cœur de la bande. Issa la Lagotienne au rire enchanteur et aux déhanchements enivrants. Issa dont j’avais longuement parcouru les courbes couleur ébène un unique soir avant de m’éclipser au petit matin. Issa pour qui ce « Una volta basta ! » avait été une fois de trop. Les Ainés lui avaient offert un linceul de glace bien trop ajusté.

Quelque part dans mon cerveau une connexion s’interrompit. Le filtre de ma lucidité se mit hors service et une fureur brulante brisa la mâchoire givrée qui m’écrasait. Tous ceux qui lui avaient infligé une pareille torture ne méritaient plus de vivre. Un voile rouge passa devant mes yeux et le pardon disparut de mon vocabulaire. Ces infects cancrelats allaient payer. Nul marabout africain ou démon infernal ne pourrait les protéger de ma juste vengeance.

Tout à ma colère, je n’entendis pas le verrou de la porte grincer et cette dernière s’ouvrir.

— Toi, suis-nous ! hurla une voix désagréable dans mon dos.

Je me retournai d’un bond et me retrouvai face à deux pistolets mitrailleurs. Que m’importaient ces crocs ! Ange exterminateur, j’étais libéré du joug de la réalité et de la peur raisonnable qui l’accompagne. Devant moi ne se dressaient déjà plus que deux âmes sur le chemin du Styx.

Mon pied détourna le premier canon pendant que mes mains se saisirent du second. Surpris d’une telle fureur, les deux gardes restèrent figés et subirent sans réagir mon assaut. J’arrachai l’arme et terminant mon tourbillon fauchai de mon pied l’homme qui la tenait. Il vola et chuta durement sur le dos. Avant même que son collègue n’ait réussi à rediriger son pistolet mitrailleur vers moi, ma rafale transforma sa tête en bouillie. Une mort trop rapide, pensai-je en pointant celui au sol. Mes balles se contentèrent de lui détruire les genoux. Peu de chance qu’il remarchât à nouveau. De toute façon, dans cet enfer de glace, sa survie n’était plus à l’ordre du jour. Une question d’heures tout au plus.

— Repens-toi, grondai-je en refermant brutalement la porte devant le soudard qui se tordait de douleur.

Le grincement sourd du verrou fut la trompe qui lança ma chasse. Ceux qui me croisèrent en payèrent le prix fort, celui d’une absolution définitive donnée avec une unique hostie de plomb. Un claquement sec résonnait dans la coursive et le serviteur du maitre s’effondrait dans l’odeur âcre d’un encens parfum poudre noire. Pas un seul n’eut le temps de lever son arme vers moi. À chaque fois, ma faucheuse trouvait près de leur cadavre de nouvelles munitions pour continuer sa moisson.

Malgré ce massacre ininterrompu, ma haine ne s’érodait pas. Je revoyais sans fin le corps de la belle allongée sur le lit de l’hôtel puis ce cadavre givré qui le remplaçait sur les draps et le feu de ma colère divine repartait de plus belle.

À partir d’un moment, les masses sanguinolentes commencèrent à s’effondrer de plus en plus nombreuses et de plus en plus souvent. J’en conclus que l’alerte avait été donnée, mais cela n’altéra pas l’efficacité de ma course.

Par deux fois, des balles sifflèrent près de mes oreilles. Une troisième m’atteignit, mais ma juste cause la détourna au dernier moment de tout organe vital. Une marque rouge sombre balafrait mon pantalon, mais je ne ralentis pas.

Deux démons noirs gardaient l’ultime passage. Plus grand et plus forts que les précédents. Munis d’armes plus puissantes et portant d’épais gilets pare-balles. L’espace entre leurs yeux, lui aussi, était plus grand. Le trou obscur que j’y creusai, parut petit, mais les fit s’effondrer l'un après l'autre dans l’instant. Ad patres.

D’un coup de pied, j’ouvris la porte. Devant un bureau, une ombre décharnée entassait avec frénésie des liasses de billets dans une valise, l’Archevêque me présentait le dos. J’avais atteint mon but. J’allais pouvoir livrer ce suppôt de Satan à mes chefs et mettre un terme à ses délires criminels.

Soudain le fils du Diable se retourna dévoilant le gros calibre qu’il tenait en main. Son titre ecclésiastique avait dû lui laisser croire qu’il bénéficiait d’une quelconque protection divine. Ma balle lui ôta cette idée en fracassant son poignet et en lui faisant lâcher son arme.

— Non ! Non ! On peut s’entendre, implora l’homme en s’agenouillant. J’ai énormément d’argent sur mes comptes à la Barbade ! Combien voulez-vous ? Combien ?

— On pourrait s’entendre en effet, murmurai-je

L’infâme criminel redressa la tête et son visage parut moins livide.

— Mais Issa ne supporterait pas de me voir l’abandonner à nouveau. Una volta basta !

Quelques grammes de plomb lui perforèrent la boite crânienne juste au-dessus de son nez. Ma belle était vengée, mais s’en souciait-elle encore.

Le vent hurle comme une furie à mes oreilles. Mes doigts ôtent vivement le givre qui recouvre mon masque. Le ciel inondé de soleil réapparait.

Elias se dirige vers moi. S’assurer que son coéquipier va bien, la consigne incontournable pour ce type de chute.

Bien plus bas, une trouée verte s’agrandit.


A suivre... vendredi prochain peut-être !


Jo Drake est le personnage principal de "BONS BAISERS DE BISSAU", mon prochain roman (à paraitre courant novembre 2017).
Découvrez aussi ses précédentes aventures sur mon blog :  "Les femmes l'aiment Macho" et "Ses amis le disent mystique"


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