Harnaché aussi lourdement qu’un gladiateur
qui aurait décidé de rejoindre la Xème Légion, je me tiens debout
tête baissée, musclant mes adducteurs à coups de trous d’air de plus en plus
violents.
Le bruit des turbopropulseurs ne me gêne plus
depuis longtemps. Je me suis habitué à ce désagréable bourdonnement au fil des
années. La vieille baleine qui nous sert de taxi grince et vibre presque plus
qu’elle n’avance.
Cela doit bien faire dix-huit mois que je
n’ai plus gouté à cette version extrême du parachutisme qui nous attend. C’est
comme le vélo, cela ne s’oublie pas, répètent à longueur d’entrainements nos
instructeurs. Un sacré vélo tout de même.
Perdu dans mes pensées, je tente de m’isoler de cet
environnement perturbé. Elias Mbako, mon coéquipier, se repose sur le banc
derrière moi. Lui aussi se concentre en silence. Les dernières minutes avant le
début des choses sérieuses.Une pratique rituelle !
Comme celle à laquelle
je me suis adonné quelques heures plus tôt : ma purification avant chaque
mission. Évacuer tout ce surplus à date de péremption qui squatte mon corps.
Expulser toutes les toxines qui sommeillent dans ses plus sombres recoins.
Obtenir une nouvelle virginité pour l’offrir au plaisir du danger.
La blonde vénitienne à l’autre bout du
comptoir m’était apparue comme une bonne option pour y parvenir.
Ce n’était pas tant que les blondes soient mon
premier choix ni le meilleur, c’était juste qu’elle se trouvait là et toute seule.
À proie offerte, on ne regarde pas la couleur, encore moins celle des cheveux.
De toute façon avec ces nuiteuses, qui peut savoir, surtout maintenant que
l’épilation intégrale est devenue la norme. Avec le ticket de métro, comme disaient
les Français, ce n’était déjà pas évident, mais là. Alors, brune, blonde ou
rousse, tant que la bimbo promettait un brasier ravageur, elle faisait
l’affaire.
Ce choix par défaut n’était pas si calamiteux
après tout. La beauté possédait des lèvres pulpeuses qui offraient des
potentialités intéressantes. Pour l’heure, seule une trop fine paille en
testait l’efficacité, mais nul doute qu’elles sauraient suffisamment se
distendre pour sourire à mes avances.
Lèvres pulpeuses et gorge voluptueuse, une agréable
entrée en matière si l’on se donnait la peine d’être imaginatif. Je m’en allais
peiner pour deux.
Le vêtement de ma cible ne laissait entrevoir aucune prudence
excessive, bien au contraire. À priori elle ne serait pas opposée à mes
sollicitations intéressées. Quand bien même, nulle forteresse n’avait jamais
résisté à mes assauts et comme les murs de Jéricho toutes ses préventions
s’effondreraient devant ma pratique experte.
Ignorant la présence du rapace qui
l’envisageait, la jolie oie à la très courte robe blanche rêvassait sur un
tabouret au skaï sans doute brulant. Ces sièges possèdent une magie qu’ils
partagent avec les talons excessivement hauts, celle d’exalter les chutes de
reins, même les plus inoffensives. La cascade impressionnante que j’observais
n’en avait guère besoin. Elle chavirait sans effort tous les mâles qui
croisaient sa route. Les chaussures haut-perchées de la poupée traduisaient
donc son manque de confiance en elle. La proie en devenait presque trop facile…
mais elle demeurait ce soir la seule à me mettre sous la dent.
À moins qu’elle ne fût un appât ? Mais mes
ennemis auraient placé la barre plus haut. J’ai une réputation bien établie. Cette
nuit serait d’ailleurs un coup de canif à celle-ci.
Je reposais mon verre de whisky. Ce single
malt n’avait rien d’exceptionnel, même au cinquième verre. Blanche-Neige
restait plus sage avec ses cocktails de fruits sans alcool. Un renseignement en
provenance directe du barman, contre un billet, le service n’était pas compris.
Il valait mieux pour moi procéder ainsi, le capiteux parfum poivré que
j’imaginais habiller cette chatte esseulée m’aurait masqué toute information
concernant sa boisson. Le parfum et ces cinq verres que l’homme debout derrière
le comptoir hésitait à débarrasser. S’agissait-il d’une indication pour mes
ennemis ? Leur permettant de savoir quand il convenait de lancer leur appât sur
sa proie, moi en l’occurrence… Paranoïa éthylique, Jo !
Les heures passaient, la nuit avançait, il était
temps d’y aller, sauf à vouloir lever Cendrillon. Ce qui aurait été d'une bien perverse ironie, car
dans cette histoire je n’avais rien d’un prince charmant. Demain matin quand
elle se réveillerait, elle serait seule dans le lit. Sans une parole sans un bruit,
je l’aurais abandonnée encore profondément endormie. Ce sport laissait rarement
mes partenaires autrement qu’épuisées, ce qui m’arrangeait bien.
Elle aurait beau chercher, elle ne trouverait
ni mot ni numéro de téléphone. Pourtant elle n’aurait rien à se reprocher.
Qu’elle fût douée ou non ne changeait rien à mon « Una volta basta ! ».
Avec vous, une fois suffit !
La belle de ma nuit, comme toutes ses
consœurs avant elle, ne me reverrait jamais et cela valait mieux ainsi. Aucune rencontre
charnelle ne devait se prolonger dans ma vie, si la poupée ne voulait pas
perdre la sienne.
Voici venir l’heure où le glorieux lion de Sa
Majesté entre dans l’arène pour dévorer la jeune vierge, m’étais-je dit en
reposant mon verre vide avant de me diriger vers cette sublimation sexuelle.
— Objectif dans une minute, hurle le
hautparleur de la soute.
Avec Elias nous nous retournons dans un mouvement
simultané. Quelques derniers réglages et dans un sourire, nous abaissons nos
masques.
A
suivre... vendredi prochain
Jo Drake est le personnage principal de "BONS BAISERS DE BISSAU", mon prochain roman (à paraitre courant novembre 2017).
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