Cette nuit, je suis de
permanence dans l’operation room de la base.
Un lieu de déperdition,
où il n’est pas question d’y tromper l’immense ennui qui l’habite avec le
moindre verre. Pas même un simple Old Fashioned, qui pourtant, pour un Écossais,
tient à peine du bol de lait fermenté. Satanées têtes de lard d’Anglais qui ne
veulent pas l’admettre.
Soyons positifs, cette
pièce possède certaines qualités propres. Son atmosphère filtrée à l’extrême
préserve les poumons de ses occupants. Le claquement sec de ses téléscripteurs
berce en douceur les oreilles fatiguées. L’éclairage froid de ses néons repose
des yeux trop souvent agressés. Des qualités toutefois trop propres après cette
dure journée de formation à Fort Monckton.
Je trime ici depuis
quelques mois et j’ai découvert des lieux fort agréables cachés dans des
environs au demeurant bien tranquilles. Des lieux où d’éthyliques mélopées résonnent
dans une lumière tamisée par les brumes de nos haleines fort chargées. Des
lieux où, joyeux buveurs, nous braillons des chants celtiques entre deux
bouffées de fumée de ce que seul cet escroc de fourrier gallois ose qualifier
de cigarette. Des lieux... enfin des pubs, vous aviez compris ! Ces phares éternels
de la culture britannique qui couvrent notre belle ile d’un réseau encore plus
dense que celui de nos intemporelles cabines téléphoniques.
Service, service. Donc
cette nuit, pour mon malheur, je devrai m’en passer.
Heureusement, avant de
m’enfermer dans ce bunkeur cryptotélégraphique, j’ai emporté de quoi m'occuper :
un bon polar, comme disent les français. Il me permettra de réviser cette
langue vibrante. Dans mon futur emploi, je ne dois pas la négliger, même si
l’influence de la France dans le monde diminue plus vite que la réserve de
whisky dans un diner de la Burns Night.
Amusant, l’action se
passe en Bretagne, le lieu de mes premières conquêtes féminines. L’Irlande me
parait désormais bien loin, mais la Bretagne pas du tout. Étonnant comme le
cerveau efface rapidement les mauvais souvenirs.
Dans ma jeunesse déjà,
mes aventures se succédaient à un rythme soutenu. Bon sang ne saurait mentir et
le sang des Highlands débordait fort agréablement d’après Madeleine.
Madeleine, ma première, elle
gardera toujours une saveur particulière. La piquante Française possédait des
lèvres au doux gout de fraise. Madeleine, quel joli prénom ! Pourtant la rouquine
préférait qu’on l’appelle Maud. Je n’ai jamais bien saisi pourquoi. Chaque fois
que l’occasion se présentait, je passais mes nuits chez Maud. On discutait et
refaisait le monde. Maud se cachait nue sous sa couverture en fourrure. Ses
mains sous la peau de bête, elle adorait me faire languir. Parfois ses yeux se
fermaient. Un instant elle restait muette, puis soupirant elle se remettait à
dériver parlant d’avenir et de philosophie. Lorsque l’aube commençait à
pointer, n’y tenant plus, je me glissais sous la couverture et dévorais son
doux fruit orangé tout trempé.
La fréquentation de la
jeune fille n’était toutefois pas sans risque, comme j’allais l’apprendre cette
après-midi là.
Les parents de Maud
m’avaient invité à prendre le thé. Je préférais depuis longtemps déjà la
brulure d’un bon whisky à la tiédeur de ce produit douteux, mais l’insistance
de ma libertine en herbe m’avait fait accepter.
Quand son père apporta un
plateau couvert de sublimes madeleines, je laissai juste s’envoler un léger
sourire vers ma belle-de-nuit. Ensuite, comme chacun des convives, je commençai à grignoter un des petits gâteaux. Chacun ou presque. La mère de ma
perverse amie trempa la pâtisserie dans son thé et, l’air ravi, le porta à
sa bouche. Ses lèvres pulpeuses épousant la forme rebondie de ce moelleux abricot,
tout en me fixant langoureusement, elle aspira le liquide doré et sucré.
L’image de mes fins de nuit avec Maud surgit et un spasme peu opportun bloqua
la miette du gâteau qui transitait dans ma gorge.
Rouge d’absence d’oxygène
autant que de trop de fantasmes, pour la première fois je crus décéder loin de
chez moi. Ridicule, une madeleine allait boucher le porc des Highlands,
pensai-je méridional tout d’un coup. Une grande claque du père et mari des
indécentes expulsa le dangereux bouchon pâtissier. L’homme ne compris sans doute
jamais pourquoi son aide avait provoqué un immense fou rire autour de
la table. La mère et la fille tout en me dévorant des yeux m’embarquèrent
de leurs brulants roucoulements. À quoi avaient pensé ces deux-là ? Avec ces affolantes
Françaises, tout était possible et le pire plus que certain.
Ce jour-là, je réalisai
que ma mort n’aurait de sens qu’au service de la Couronne… et que la
gourmandise est un vilain défaut.
De souvenirs en pages de
livre, l’heure tourne. Les téléscripteurs eux-mêmes paraissent ne pas vouloir
troubler mes rêveries. Il est déjà très tard... ou très tôt car voilà la relève.
Je vais pouvoir m’en retourner à ma formation quotidienne.
Un crochet par le mess, le
temps d’un double irish-coffee chaud et sans crème, et je serai prêt pour une
nouvelle longue journée au service de Sa Majesté.
A
suivre... mercredi prochain
Si cette
nouvelle vous a plu, n'hésitez pas à retrouver mon univers dans "Bons Baisers de Dubaï", 300
pages de suspense : De nos jours, la course folle de deux agents de Sa Majesté
pour éviter un conflit majeur. Action, dépaysement et humour garantis.
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