mercredi 24 mai 2017

"Un abricot ambré", une nouvelle de SASSA



Cette nuit, je suis de permanence dans l’operation room de la base.

Un lieu de déperdition, où il n’est pas question d’y tromper l’immense ennui qui l’habite avec le moindre verre. Pas même un simple Old Fashioned, qui pourtant, pour un Écossais, tient à peine du bol de lait fermenté. Satanées têtes de lard d’Anglais qui ne veulent pas l’admettre. 

Soyons positifs, cette pièce possède certaines qualités propres. Son atmosphère filtrée à l’extrême préserve les poumons de ses occupants. Le claquement sec de ses téléscripteurs berce en douceur les oreilles fatiguées. L’éclairage froid de ses néons repose des yeux trop souvent agressés. Des qualités toutefois trop propres après cette dure journée de formation à Fort Monckton. 

 

Je trime ici depuis quelques mois et j’ai découvert des lieux fort agréables cachés dans des environs au demeurant bien tranquilles. Des lieux où d’éthyliques mélopées résonnent dans une lumière tamisée par les brumes de nos haleines fort chargées. Des lieux où, joyeux buveurs, nous braillons des chants celtiques entre deux bouffées de fumée de ce que seul cet escroc de fourrier gallois ose qualifier de cigarette. Des lieux... enfin des pubs, vous aviez compris ! Ces phares éternels de la culture britannique qui couvrent notre belle ile d’un réseau encore plus dense que celui de nos intemporelles cabines téléphoniques.

Service, service. Donc cette nuit, pour mon malheur, je devrai m’en passer.

Heureusement, avant de m’enfermer dans ce bunkeur cryptotélégraphique, j’ai emporté de quoi m'occuper : un bon polar, comme disent les français. Il me permettra de réviser cette langue vibrante. Dans mon futur emploi, je ne dois pas la négliger, même si l’influence de la France dans le monde diminue plus vite que la réserve de whisky dans un diner de la Burns Night.

Amusant, l’action se passe en Bretagne, le lieu de mes premières conquêtes féminines. L’Irlande me parait désormais bien loin, mais la Bretagne pas du tout. Étonnant comme le cerveau efface rapidement les mauvais souvenirs. 

Dans ma jeunesse déjà, mes aventures se succédaient à un rythme soutenu. Bon sang ne saurait mentir et le sang des Highlands débordait fort agréablement d’après Madeleine.

Madeleine, ma première, elle gardera toujours une saveur particulière. La piquante Française possédait des lèvres au doux gout de fraise. Madeleine, quel joli prénom ! Pourtant la rouquine préférait qu’on l’appelle Maud. Je n’ai jamais bien saisi pourquoi. Chaque fois que l’occasion se présentait, je passais mes nuits chez Maud. On discutait et refaisait le monde. Maud se cachait nue sous sa couverture en fourrure. Ses mains sous la peau de bête, elle adorait me faire languir. Parfois ses yeux se fermaient. Un instant elle restait muette, puis soupirant elle se remettait à dériver parlant d’avenir et de philosophie. Lorsque l’aube commençait à pointer, n’y tenant plus, je me glissais sous la couverture et dévorais son doux fruit orangé tout trempé.

La fréquentation de la jeune fille n’était toutefois pas sans risque, comme j’allais l’apprendre cette après-midi là. 

Les parents de Maud m’avaient invité à prendre le thé. Je préférais depuis longtemps déjà la brulure d’un bon whisky à la tiédeur de ce produit douteux, mais l’insistance de ma libertine en herbe m’avait fait accepter. 

Quand son père apporta un plateau couvert de sublimes madeleines, je laissai juste s’envoler un léger sourire vers ma belle-de-nuit. Ensuite, comme chacun des convives, je commençai à grignoter un des petits gâteaux. Chacun ou presque. La mère de ma perverse amie trempa la pâtisserie dans son thé et, l’air ravi, le porta à sa bouche. Ses lèvres pulpeuses épousant la forme rebondie de ce moelleux abricot, tout en me fixant langoureusement, elle aspira le liquide doré et sucré. L’image de mes fins de nuit avec Maud surgit et un spasme peu opportun bloqua la miette du gâteau qui transitait dans ma gorge.

Rouge d’absence d’oxygène autant que de trop de fantasmes, pour la première fois je crus décéder loin de chez moi. Ridicule, une madeleine allait boucher le porc des Highlands, pensai-je méridional tout d’un coup. Une grande claque du père et mari des indécentes expulsa le dangereux bouchon pâtissier. L’homme ne compris sans doute jamais pourquoi son aide avait provoqué un immense fou rire autour de la table. La mère et la fille tout en me dévorant des yeux m’embarquèrent de leurs brulants roucoulements. À quoi avaient pensé ces deux-là ? Avec ces affolantes Françaises, tout était possible et le pire plus que certain.

Ce jour-là, je réalisai que ma mort n’aurait de sens qu’au service de la Couronne… et que la gourmandise est un vilain défaut.

De souvenirs en pages de livre, l’heure tourne. Les téléscripteurs eux-mêmes paraissent ne pas vouloir troubler mes rêveries. Il est déjà très tard... ou très tôt car voilà la relève. Je vais pouvoir m’en retourner à ma formation quotidienne.

Un crochet par le mess, le temps d’un double irish-coffee chaud et sans crème, et je serai prêt pour une nouvelle longue journée au service de Sa Majesté. 


A suivre... mercredi prochain

Si cette nouvelle vous a plu, n'hésitez pas à retrouver mon univers dans "Bons Baisers de Dubaï", 300 pages de suspense : De nos jours, la course folle de deux agents de Sa Majesté pour éviter un conflit majeur. Action, dépaysement et humour garantis.  



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