J’entre et ferme la porte derrière moi.
Le chef du Secret
Royal Protection Group se tient seul dans la pièce. Debout devant la
fenêtre, il me tourne le dos. Le Majordome, comme tout le monde le surnomme,
regarde le jardin du palais que le givre fait briller dans ce soleil matinal.
— Déposez votre badge et votre arme sur
mon bureau, Angus.
— Je connais la musique, monsieur.
— Vous ne croyez pas si bien dire, me
répond-il en se retournant enfin.
Le grand escogriffe qui a organisé ma vie ces
deux dernières années se dirige vers son siège et s’y assoit comme au ralenti.
L’homme me dévisage avec un étrange sourire, d’autant plus étrange qu’il n’est
pas coutumier du fait.
Je reste debout espérant un signe. Mes yeux balayent
sans doute pour la dernière fois cette pièce et ses profondes armoires à
tiroirs. L’homme y rangera tout à l’heure ma carte professionnelle. Des meubles
gris, comme mon avenir. Où me réveillerai-je demain ? Dans un village sur une côte
inconnue ? Au milieu de gens bizarres et de voiturettes de golf ?
La mission de trop... Celle que je n’aurais
pas due accepter, mais peut-on dire non au regard de vautour de mon
interlocuteur ?
Pourtant je savais bien qu’elle
n’apprécierait pas mon retour dans ses jupes. Je restais le seul à avoir fait
craquer « the ball ». Au bout de 18 mois, elle avait dû inventer une
histoire abracadabrante pour m’exclure de son entourage. Une histoire qui
n’avait trompé personne, mais qui m’avait valu d’être affecté à la protection d’un
autre membre de la famille royale, on ne remet pas en cause la parole d’une
duchesse.
Cette longue période à ses côtés m’avait fait
gagner le respect de mes pairs et, bien malgré moi, le surnom de « O’Malley », le
personnage si attachant de Disney. Un surnom irlandais, à nouveau cette amère
ironie qui traversait ma vie. Par chance, tout cela n’était venu à ses oreilles
qu’après mon départ de son service.
Mais six mois plus tard, cette jolie tête de
mule qui dominait une sublime cambrure immaculée n’avait visiblement pas oublié
ce « O’Malley ». Des nuages noirs zébrés d’éclairs avaient surgi dans
les yeux pervenche de la dame blanche à l’instant où elle m’avait découvert de
nouveau à côté de la portière de sa Rolls.
— Angus, nous savons qu’un nouvel
attentat se prépare contre la famille royale, m’avait révélé la veille mon
impénétrable chef. Pas question d’exposer qui que ce soit avant que nous
n’ayons localisé les terroristes. Or vous seul pouvez la maitriser.
La mission de trop... Alors qu’elle se
rapprochait, j’entendai bourdonner dans sa tête l’ire de la colère et les
ferments de la vengeance. À la voir pourtant, on lui aurait donné le Bon Dieu
sans confession, un ange.
Ensuite tout était allé très vite. La Rolls
qui s’arrêtait devant ce magasin de vêtements à la mode. La dame qui essayait
et essayait encore, plus que de raison. Mon insistance pressante, mes
exhortations à quitter les lieux, mon ton qui lui aussi montait plus que de
raison. Je savais que nous devions bouger.
« The ball » jouait à ne pas
m’entendre, s’amusait à le prendre de haut, une gamine mal élevée et
capricieuse telle qu’elle avait toujours été. Mais ce jour-là, j’étais trop
inquiet pour continuer à raisonner et quand elle avait prononcé cette phrase, la
coupe avait débordé.
— Vous n’allez quand même pas porter la
main sur un membre de la famille royale.
Chacun de mes collègues l’avait surement
fantasmé, moi je l’ai fait. D’aucuns y auraient introduit une connotation
sexuelle, personnellement je souhaitais juste remettre à sa place l’affreuse
garce qui habitait ce corps sublime.
J’attrapai la belle par son poignet et la
tirai dans la cabine d’essayage. Il est des choses qu’un gentleman ne saurait
imposer en public. Hors de ses bornes, ne veut pas dire impoli. L’éducation
n’est pas un vain mot en Écosse.
Je basculai la dame en travers de mes cuisses
et mis une première claque sur ce fessier de rêve. Le plat de ma main sur la
courbe tendue de cette croupe provoqua une telle déflagration que je me
retrouvais assis par terre.
Les rideaux de la cabine étaient en feu et les
murs à moitié défoncés. Une bombe venait d’exploser devant la porte donnant sur
la rue. La duchesse demeurait sidérée en travers de mes jambes. Auparavant, aucun
traitement ne lui avait jamais fait pareil effet. Un souffle terrible avait
bousculé ses certitudes après avoir dévasté le magasin et accessoirement tué l’ensemble
du personnel.
Mon arme en main, je poussai la dame au sol.
Elle s’y reçut comme un sac de patates, charmant sac, mais sac tout de même.
Des deux traitements, je ne saurai jamais lequel elle me reprocherait le plus.
La Rolls stationnait dehors, intacte.
Fabrication britannique et blindée, deux bonnes raisons pour tenir sa place.
Quelques minutes plus tard, nous roulions à pleine vitesse vers Buckingham
Palace.
Le couinement du tiroir me ramène dans le
bureau. Mon interlocuteur en sort une enveloppe qu’il me tend avec toujours le
même sourire aux lèvres. Avec une extrême lenteur, j’en déchire un bord, comme
sans doute tant de condamnés ont lentement posé leur tête sur le billot de la
tour de Londres.
À l’intérieur, un badge gainé simili cuir
cherche sa place. Je l’ouvre. Une photo de mon visage prise un mauvais jour y côtoie
trois lettres. Mon cœur s’emballe.
— Monsieur, je ne…
Il m’interrompt de son geste habituel de la
main.
— Angus, vous l’avez bien mérité. La
Couronne vous le doit. Je ne vous cache pas que la duchesse crie à qui veut
l’entendre que votre comportement envers sa personne a été inqualifiable.
Le Majordome prend sa carafe à whisky et nous
sert deux verres.
— Sa Majesté, à qui elle rebattait les
oreilles de la chose pour la nième fois, l’aurait sèchement interrompue par un « un
bien beau tissu que vous avez là, très chère. Vous avez toujours aimé les robes blanches,
c’est vrai qu’elles font d’élégants linceuls ».
Il porte le whisky à ses lèvres et le boit
d’un trait, un geste digne d’un Écossais.
— Vous irez quelque temps à Fort Monckton pour y parfaire votre formation, puis vous rejoindrez votre nouvelle
maison.
— Merci, monsieur.
— C’est vous que certaines personnes
devraient remercier, mais toutes les femmes ne sont pas des anges, Angus.
L’homme me regarde partir avec encore ce même
demi-sourire sur le visage, comme si quelque chose d’amusant m’avait échappé.
Tout
en marchant dans les couloirs, j’ouvre à nouveau mon badge. Je ne dois pas
toucher le sol tant il me remplit d’orgueil. Enfin rejoindre le MI6, juste au
moment où des bruits de bottes agitent l’atlantique sud.
Cette carte plastifiée porte mon nouveau nom,
mon patronyme d’espion. Young, Angus Young…
Effectivement, monsieur, je ne croyais pas si bien dire !
A
suivre... mercredi prochain
Si cette
nouvelle vous a plu, n'hésitez pas à retrouver mon univers dans "Bons Baisers de Dubaï", 300
pages de suspense : De nos jours, la course folle de deux agents de Sa Majesté
pour éviter un conflit majeur. Action, dépaysement et humour garantis.
Continue !
RépondreSupprimerJe ne compte pas m’arrêter ! Merci Sylvain
Supprimerchouette nouvelle :)
RépondreSupprimerMerci Baboue. N'hésite pas à lire les 6 qui la précèdent !
SupprimerC'est drôle et bien écrit..
RépondreSupprimerMerci. Pouvouquésadoure tous ces compliments !
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