mercredi 10 mai 2017

"La dame blanche", une nouvelle de SASSA



— Pensez-vous être celui qui arrivera à ne pas perdre la boule, Mac Alister ? me demande pince-sans-rire l’homme.

Ces dernières semaines, malédictions et imprécations se sont entrechoquées dans ma tête. Satanée Dame de fer, satanée politique budgétaire et satanés de satanés de satanés comptables des ministères. Le MI6 s’éloignait, pourtant il n’était pas question que je rejoigne mon illustre régiment. 

Mon supérieur le savait bien, lui qui tentait par tous les moyens de ne pas me voir partir dans le civil. Sa dernière offre ne manquait pas de sel : l’absence d’argent public m’ayant fermé la porte des services secrets de Sa Majesté, pourquoi ne pas bénéficier des fonds spéciaux pour entrouvrir celle d'un discret service auprès de Sa Majesté ? Sous des dehors austères, cet officier dissimulait un humour des plus retors. Pas forcément surprenant chez un Gallois, mais tout de même.



Financée sur la cassette de la Reine, une compagnie de « Gardes du Corps » venait d’être créée pour assurer la sécurité de la famille royale. Un nom qui fleurait bon son dix-septième siècle, un temps où les cadets de la haute noblesse débutaient ainsi dans la carrière. À l’époque, ils formaient une troupe de parades et d’ornements au service de la splendeur des représentations officielles. Des hommes aux superbes atours, à la morgue glacée et au regard vide. Tout le contraire de ceux de cette nouvelle unité dont le puissant ramage associé à une totale absence de plumage les rendait pareil aux membres du Secret Service étasunien. Le bruyant assassinat de Lord Mountbatten, le cousin de Sa Majesté, résonnait encore dans toutes les mémoires.

Après avoir placé dans la mire de mon viseur et abattu sans pitié ceux qui luttaient contre la Couronne en Irlande, j'interposerai mon corps et servirai de cible à ces fanatiques irlandais. Cette ironie morbide me fit accepter la proposition bien plus qu’un quelconque gout du sacrifice.

— Pensez-vous être celui qui arrivera à ne pas perdre la boule, Mac Alister ? venait-il donc de me demander.

La boule, « the ball », le nom de code de la personnalité dont j’allais devoir assurer la protection rapprochée. « The ball », la fameuse boule blanche du feuilleton « Le prisonnier » avec ce fou de Patrick McGoohan dans le rôle-titre.

Le Majordome, le flegmatique chef de ce nouveau service, avait-il pressenti les capacités de celle-ci en lui attribuant ce nom de code ? Ou était-ce cette personne qui par vengeance à chaque occasion transformait ce peu délicat sobriquet en titre de gloire ? 

Peu importe la raison initiale, dorénavant le nom et la dame, car c’en était une, s’accordaient admirablement. Malgré une si peu discrète robe blanche qui moulait en permanence sa renversante chute de reins, elle avait réussi à semer les trois précédents officiers chargés de sa sécurité. Résultat, trois mises à pied obtenues grâce à une imagination aussi perverse que débordante associée à une ténacité sans égal. Au sein du service, en dépit de ses formes provocantes, la superbe duchesse n’était pas considérée comme une affaire.

— Pensez-vous être celui qui arrivera à ne pas perdre la boule, Mac Alister ? 

Les mots résonnaient dans ma tête.

— Je ne suis pas un numéro, monsieur ! Surtout pas le 4 dans sa liste de victimes, martelè-je le visage imperturbable. Alors, permettez-moi de ne pas démissionner avant de lui avoir montré.

Un froncement amusé plisse le coin des yeux de mon interlocuteur.

— Bonjour chez vous, murmure-t-il en me remettant le planning hebdomadaire de la jeune femme.

J’aurais préféré qu’il me confie les clés de la fameuse Lotus Seven verte au nez jaune, mais je devrai me contenter du siège avant de la Rolls-Royce noire de Son Altesse.

Dans ces années de vaches maigres, nous devions tous être prêts aux pires sacrifices.

A suivre... mercredi prochain

Si cette nouvelle vous a plu, n'hésitez pas à retrouver mon univers dans "Bons Baisers de Dubaï", 300 pages de suspense : De nos jours, la course folle de deux agents de Sa Majesté pour éviter un conflit majeur. Action, dépaysement et humour garantis.  


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