mercredi 19 avril 2017

"La rose noire", une nouvelle de SASSA




L’entrée du pub se découpe dans la lunette de mon fusil de précision.
 

Jeune soldat à l’avenir prometteur, j’ai été mis à la disposition du Special Air Service, les forces spéciales britanniques, à Belfast. Notre mission consiste à protéger la fragile trêve annoncée il y a quelques mois. Notre stratégie, éliminer tous ceux qui s’y opposent. Nous essayons de maintenir la paix dans un univers de violence que nous-mêmes créons, une absurdité. 


Vers 17 heures, nous avons quitté notre casernement. Ce vieux fort qui domine la mer convient tout à fait aux sinistres opérations secrètes que nous menons. 


Nous sommes maintenant en place. Trois d’entre nous se cachent sur le toit d’un immeuble en briques d’un des fiefs loyalistes de la ville. Le quatrième couvre nos arrières, dissimulé dans notre Land Rover sombre. 




En position couchée, tout de noir vêtu, j’attends. Ma nuque se bloque constamment. Pour la première fois, je tiens la hache du bourreau et je n’aime pas ça.

Quand j’ai intégré l’Académie royale militaire de Sandhurst, je pensais servir la grandeur de l’Empire. Quand j’ai accepté cette incroyable affectation au SAS, le rêve de tout officier de la Couronne, je pensais rejoindre un groupe d’hommes d’honneur. Ce soir, je me découvre exécuteur des basses œuvres. J’éprouve le sentiment de salir l’uniforme que je porte.


Plus tard, on nommera ce type d’opérations « frappe chirurgicale », mais pour l’heure l’expression ne figure pas dans notre vocabulaire quotidien et de toute manière cela ne change en rien mon point de vue.


Notre cible est un activiste protestant, fondateur et leadeur de « Black rose ». Ces terroristes tentent de mettre à mal le processus de paix. Leur organisation a fomenté 4 attentats dans le seul mois écoulé. Une dizaine de morts. « Sans lui, Black rose cessera ses attaques meurtrières » nous a-t-on répété avant de partir en mission. Ces mots doivent m’aider à presser la détente. 


La main de mon camarade, un ancien déjà, se resserre sur mon épaule. Dans ses jumelles, il vient de voir l’homme quitter sa table. Après avoir revêtu un trench vert bouteille, il se dirige vers la sortie. Deux autres personnes l’accompagnent. 


Mon ventre se crispe, mon cerveau bout, pourtant rien au-dehors ne laisse filtrer cette lutte intérieure. Mon doigt se tient appuyé contre le pontet, mon œil sur le coussinet. Pas un tremblement ou même un clignement de paupière qui trahiraient ma crise de conscience. En opération, un officier de Sa Majesté doit obéir sans réfléchir.


La porte s’entrouvre.


— Pas encore, chuchote la voix du chef de groupe. 


La silhouette apparait dans la mire. Une forme sans humanité. Un trenchcoat flou cache son corps. Une visière en laine masque son visage. Je maintiens l’avant de sa casquette plate à la croisée des deux lignes perpendiculaires de ma lunette. 


À travers les lentilles, je devrais voir un fanatique, un ennemi, un démon... mais au lieu de cela, c’est une femme et deux jeunes enfants qui s'y superposent. Ils n’ont rien fait. Je ne peux pas les priver de leur père et mari.


— Maintenant ! 


Le mot résonne dans mon oreille


— La cible est masquée, murmurè-je.


— Maintenant, MacAlister, il va nous échapper. Tirez !


— La cible est masquée, je répète, la cible est masquée, m’emportè-je sachant très bien qu’aucun d’eux n’ignore le mensonge de mes paroles.


— Plan B !


L’ordre sec que lance l’officier dans la radio me transperce le cerveau.


Alors que nous quittons le toit, une fumée noire s’élève dans notre dos. Le bruit des sirènes envahit déjà la nuit.


— T’inquiète petit, nous sommes tous passés par là, me glisse mon camarade.


Le lendemain, le Sun titrera : « Attentat de l’IRA dans un pub de Sandy Row, 10 morts ».

A suivre... mercredi prochain

Si cette nouvelle vous a plu, n'hésitez pas à retrouver mon univers dans "Bons Baisers de Dubaï", 300 pages de suspense : De nos jours, la course folle de deux agents de Sa Majesté pour éviter un conflit majeur. Action, dépaysement et humour garantis. 

2 commentaires:

  1. Ah mais tu fais ton Camus, là! On dirait kaliayev dans les Justes, il ne peut pas lancer sa bombe sur le carrosse parce qu'il y a les enfants dedans. Bon, c'était la minute culturelle.

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