— Doit-on coucher
avec toutes les femmes que l’on rencontre ? nous lance Duncan, avec un regard à
la fois trouble et moqueur.
J’aime beaucoup Duncan.
Des favoris roux fournis, une carrure d’athlète, un mental d’acier et un gout immodéré
pour la boisson. Un vrai Écossais ! Bien que de cinq ans mon cadet, il a appris
suffisamment tôt la vie pour être de bonne compagnie.
Ce soir, nous fêtons la
fin de notre période de formation à Fort Monckton. La quinzaine de gueules d’ange
présentes dans le mess fixe le Strathclyde Fox, son surnom au sein de notre
promotion. Nous sommes tous avides d’entendre la réponse de ce Casanova version
Lowlands.
— La question mérite
d’être posée, car, ne l’oublions pas, l’homme demeure avant tout une bête de
sexe. Eh oh, rêvez pas. De ces mots retenez surtout celui de bête. Chaque fois
qu’on agite devant ses yeux le moindre chiffon rouge, extrêmement court ou fendu,
moulant ou vaporeux — et même d’une autre couleur — il fonce tête baissée et
queue dressée. Plus aucune réflexion, plus aucune inhibition.
L’orateur balaye son
auditoire avec un regard brumeux.
— Que faire quand,
comme nous, on se trouve confronté en permanence à ce risque de manipulation ? Il
faut savoir élever son mental dans des sphères aussi inaccessibles à ces viles
tentations que des Everest de latex le seraient pour des Etna brulants. Vous
voyez l’image ?
Sans même nous regarder
pour s’en assurer, il vide d’un trait son verre puis le cogne plusieurs fois
sur la table jusqu’à ce que l’un de nous le remplisse à nouveau de son single
malt préféré. L’Écossais carbure sec quand il se lance dans des délires humides.
— Comment donc se
dresser de la sorte ? Comment nous protéger de tous ces trous noirs qui nous
entourent et qui ne demandent qu’une chose, aspirer notre énergie pour en
nourrir leur séant... néant ?
Sans le vouloir, sa
langue a fourché, mais Duncan ne parait pas l’avoir remarqué. Je n’en crois
rien, je connais mon bonhomme.
— Il n’y a ici que
des gentlemans donc je ne pense pas qu’il faille revenir sur les fondamentaux.
Il s’arrête, le regard tentant
de percer le fog éthylique et tabagique qui le noie.
— J’oubliais Bevan.
Alors, pour notre ami gallois, les quelques rappels qui s’imposent.
Un hurlement sauvage
traverse la pièce, couvert par les rires gras de l’assistance. Le Bevan en
question projette son bonnet commando que Duncan évite sans le moindre mal.
— Une évidence tout
d’abord, on ne bisoute pas avec un membre de sa famille. Oublie tout de suite
ce vieux souvenir datant du temps où tu avais sept ans et que tu as joué au
docteur avec ta cousine Auriol. Un sacré petit lot qu’elle est devenue celle-là
depuis ! Tu lui rappelleras mon profond souvenir la prochaine fois que tu la
revois.
C’est une rangers qui vole
maintenant. Elle s’écrase contre le mur dans un bruit mou sans toucher
personne.
— À ce rythme-là, tu
vas finir à poil ! Donc je répète, on ne baise pas avec quelqu’un de sa
famille, si grande soit-elle. Dans mon cas, orphelin et sans parentèle connue,
cela ne me pose guère de problèmes, il est vrai.
Moment de sensiblerie, un
ange traverse la pièce. On attend le sanglot, mais c’est un sourire qui éclaire
le visage de notre homme, fort content de son effet.
— Toujours pour
notre barbare de l’ouest, on ne saute pas la femme d’un ami. Non ! Non ! Et non !
Jamais ! En même temps, tu n’as pas d’amis.
Nouvelle rangers.
— Ensuite, et là c’est
valable pour chacun de vous, bande de boit-sans-soif et de tire cent coups, on
ne fornique pas avec une collègue de travail. Dans l’expression « relation
de travail », c’est « travail » le mot important. Oubliez le
fantasme de la photocopieuse et de ses tirages qui s’entassent au rythme des
ahanements de votre secrétaire. Surtout si la belle vous dévore chaque matin de
ses yeux de chatte anglaise. Au moindre problème, vous serez bon pour voyager
en classe « éco » lors de vos prochaines missions. Vous savez, comme
moi, combien les matériels de Sa Majesté se bourrent facilement. Mauvaise
qualité de la lubrification associée à un papier bas de gamme, parait-il. Alors
niet !
Là, le lascar se moque
vraiment de nous, mais l’alcool empêche tous ces idiots d’Anglais de s’en
apercevoir.
— Mais une fois que
l’on a traité ces cas évidents, il reste encore beaucoup de pièges malins à
éviter, des chaussetrappes qui font le malheur de tous les chauds lapins
inconscients. Les louves perverses qui les terrassent, se délectent de chair
fraiche, surtout quand elle est brulante. Serions nous donc irrémédiablement
perdus ?
L’Écossais se repait de
nos regards anxieux. Même celui de Bevan est accroché à ses lèvres en attente
de sa réponse.
— Alors, je vous l’affirme
mes amis, comme le God save the Queen, les statistiques sauvent le mâle.
Je manque de m’étouffer.
J’adore mon Duncan et surtout j’adore comme ils les bernent tous à chaque fois.
Avant que les rangers ne volent sous le coup de leurs réactions
épidermoéthyliques, mon homme enfonce le clou.
— Que disent-elles ?
Si j’en crois les dernières informations publiées par le Géographic Global Institute pour les pays développés...
Je vais peut-être revoir
mes idées sur les habitants des Lowlands. Maitriseraient-ils d’autres
mathématiques que celles qui permettent de comptabiliser les tournées ?
— 20 % des
demoiselles ont moins de 18 ans... et là, messieurs, je ne veux même pas en
entendre parler ! 31 % plus de 64 ans...
Il ingurgite une nouvelle
rasade et réclame son dû d’un fond de verre rageur sur le bois de la table. Une
bonne âme le comble.
— Pourquoi ce
chiffre de 64 ans ? me direz-vous. Une question d’une rare importance. Si cela titille
ce qu’il vous tient de cerveau reptilien, je vous engage à la poser directement
aux fameux sondeurs. Ceci dit, il est vrai qu’il convient d’éviter les
emballements dans ces zones-là, un dérapage est vite arrivé. Vous ne voudriez
pas leur briser le cœur. Face à l’infarctus féminin, raison faut savoir garder.
Et boisson faut savoir
stopper... même pour un Écossais.
— Mais revenons à
nos statistiques et à leur frigide musique. Un chant de chiffres qui annonce
sans grâce qu’il y a près de 49 % d’hommes. Quoi qu’en pensent mes camarades anglais
les moins alcoolisés, de mon côté, il existe des souches fondatrices sur lesquelles
je n’ai aucun mal à m’appuyer. Si ! Si ! Je vous jure.
Oups ! Une chance,
personne n’a compris.
— 20 plus 31 plus
49, je peux vous l’affirmer, chiffre à l’appui...
Il vide à nouveau son
verre et reprend sans même attendre d’être resservi.
— Vous disposez d’au
moins 100 % de chance d’arriver à résister à la bête maligne et à ses
perfides attractions !
Le verre quémande son dû
en faisant sonner la table.
— Toutefois lorsqu’il
s’agit du service de Sa Majesté, rien de tout cela ne doit entrer en ligne de
compte. Quand le devoir l’impose, qu’importe le flacon, nous y plongerons notre
plume. Elle parcourra sans honte ni retenu le moindre recoin du temple impie, chuintant
un terrible « sus à l’ennemi ! » Le fracas de nos coups de boutoir
ébranlera chacune des barrières virginales qu’il nous opposera et pénètrera
jusqu’au tréfonds de l’âme perverse qui l’habite. Enfin jaillira le Britannia, rules the waves qui mettra à genoux le vaincu... Hips !
Son verre se lève, les
nôtres le rejoignent, et tous en cœur nous crions « Pour la Reine ! Pour
le MI6 ! Hourra ! Hourra ! Hourra ! »
Nos verres claquent sur
la table et le silence retombe dans la pièce pendant que le jukebox du mess
laisse entendre une voix d’un chanteur espagnol : « Vous les femmes,
vous le charme, vos sourires nous attirent nous désarment, vous les anges,
adorables, et nous sommes nous les hommes pauvres diables... »
A
suivre... mercredi prochain
Si cette
nouvelle vous a plu, n'hésitez pas à retrouver mon univers dans "Bons Baisers de Dubaï", 300
pages de suspense : De nos jours, la course folle de deux agents de Sa Majesté
pour éviter un conflit majeur. Action, dépaysement et humour garantis.
tu écrits des nouvelles autour de ton livre. intéressant, j'avais eu la même idée pour gahila, mais le temps me manque.
RépondreSupprimerEn fait j'écris plutôt des nouvelles dans l'univers de mes livres. D'autres personnages. On croise parfois les mêmes avant leurs aventures actuelles (qui elles se passent toujours dans un futur proche alors que là nous sommes dans le passé).
SupprimerAprès pour ce qui est du temps, tu as raison... mais souvent ces nouvelles sont le jaillissement d'un instant, une réaction à une info ou une idée... qui disparaitrait si j'attendais de les inclure dans quelque chose de plus vaste :-)
Merci de les avoir lu et d'avoir pris le temps d'écrire ces quelques lignes !
Mort de rire avec tes stats...
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