mercredi 7 juin 2017

"Fleur bleue", une nouvelle de SASSA



— Doit-on coucher avec toutes les femmes que l’on rencontre ? nous lance Duncan, avec un regard à la fois trouble et moqueur. 

J’aime beaucoup Duncan. Des favoris roux fournis, une carrure d’athlète, un mental d’acier et un gout immodéré pour la boisson. Un vrai Écossais ! Bien que de cinq ans mon cadet, il a appris suffisamment tôt la vie pour être de bonne compagnie.

Ce soir, nous fêtons la fin de notre période de formation à Fort Monckton. La quinzaine de gueules d’ange présentes dans le mess fixe le Strathclyde Fox, son surnom au sein de notre promotion. Nous sommes tous avides d’entendre la réponse de ce Casanova version Lowlands.  

— La question mérite d’être posée, car, ne l’oublions pas, l’homme demeure avant tout une bête de sexe. Eh oh, rêvez pas. De ces mots retenez surtout celui de bête. Chaque fois qu’on agite devant ses yeux le moindre chiffon rouge, extrêmement court ou fendu, moulant ou vaporeux — et même d’une autre couleur — il fonce tête baissée et queue dressée. Plus aucune réflexion, plus aucune inhibition. 

L’orateur balaye son auditoire avec un regard brumeux.   

— Que faire quand, comme nous, on se trouve confronté en permanence à ce risque de manipulation ? Il faut savoir élever son mental dans des sphères aussi inaccessibles à ces viles tentations que des Everest de latex le seraient pour des Etna brulants. Vous voyez l’image ?

 

Sans même nous regarder pour s’en assurer, il vide d’un trait son verre puis le cogne plusieurs fois sur la table jusqu’à ce que l’un de nous le remplisse à nouveau de son single malt préféré. L’Écossais carbure sec quand il se lance dans des délires humides.

— Comment donc se dresser de la sorte ? Comment nous protéger de tous ces trous noirs qui nous entourent et qui ne demandent qu’une chose, aspirer notre énergie pour en nourrir leur séant... néant ?

Sans le vouloir, sa langue a fourché, mais Duncan ne parait pas l’avoir remarqué. Je n’en crois rien, je connais mon bonhomme.

— Il n’y a ici que des gentlemans donc je ne pense pas qu’il faille revenir sur les fondamentaux.

Il s’arrête, le regard tentant de percer le fog éthylique et tabagique qui le noie.

— J’oubliais Bevan. Alors, pour notre ami gallois, les quelques rappels qui s’imposent. 

Un hurlement sauvage traverse la pièce, couvert par les rires gras de l’assistance. Le Bevan en question projette son bonnet commando que Duncan évite sans le moindre mal.

— Une évidence tout d’abord, on ne bisoute pas avec un membre de sa famille. Oublie tout de suite ce vieux souvenir datant du temps où tu avais sept ans et que tu as joué au docteur avec ta cousine Auriol. Un sacré petit lot qu’elle est devenue celle-là depuis ! Tu lui rappelleras mon profond souvenir la prochaine fois que tu la revois.

C’est une rangers qui vole maintenant. Elle s’écrase contre le mur dans un bruit mou sans toucher personne.

— À ce rythme-là, tu vas finir à poil ! Donc je répète, on ne baise pas avec quelqu’un de sa famille, si grande soit-elle. Dans mon cas, orphelin et sans parentèle connue, cela ne me pose guère de problèmes, il est vrai.

Moment de sensiblerie, un ange traverse la pièce. On attend le sanglot, mais c’est un sourire qui éclaire le visage de notre homme, fort content de son effet.

— Toujours pour notre barbare de l’ouest, on ne saute pas la femme d’un ami. Non ! Non ! Et non ! Jamais ! En même temps, tu n’as pas d’amis.

Nouvelle rangers.

— Ensuite, et là c’est valable pour chacun de vous, bande de boit-sans-soif et de tire cent coups, on ne fornique pas avec une collègue de travail. Dans l’expression « relation de travail », c’est « travail » le mot important. Oubliez le fantasme de la photocopieuse et de ses tirages qui s’entassent au rythme des ahanements de votre secrétaire. Surtout si la belle vous dévore chaque matin de ses yeux de chatte anglaise. Au moindre problème, vous serez bon pour voyager en classe « éco » lors de vos prochaines missions. Vous savez, comme moi, combien les matériels de Sa Majesté se bourrent facilement. Mauvaise qualité de la lubrification associée à un papier bas de gamme, parait-il. Alors niet !

Là, le lascar se moque vraiment de nous, mais l’alcool empêche tous ces idiots d’Anglais de s’en apercevoir. 

— Mais une fois que l’on a traité ces cas évidents, il reste encore beaucoup de pièges malins à éviter, des chaussetrappes qui font le malheur de tous les chauds lapins inconscients. Les louves perverses qui les terrassent, se délectent de chair fraiche, surtout quand elle est brulante. Serions nous donc irrémédiablement perdus ?

L’Écossais se repait de nos regards anxieux. Même celui de Bevan est accroché à ses lèvres en attente de sa réponse.

— Alors, je vous l’affirme mes amis, comme le God save the Queen, les statistiques sauvent le mâle.

Je manque de m’étouffer. J’adore mon Duncan et surtout j’adore comme ils les bernent tous à chaque fois. Avant que les rangers ne volent sous le coup de leurs réactions épidermoéthyliques, mon homme enfonce le clou.

— Que disent-elles ? Si j’en crois les dernières informations publiées par le Géographic Global Institute pour les pays développés... 

Je vais peut-être revoir mes idées sur les habitants des Lowlands. Maitriseraient-ils d’autres mathématiques que celles qui permettent de comptabiliser les tournées ?  

— 20 % des demoiselles ont moins de 18 ans... et là, messieurs, je ne veux même pas en entendre parler ! 31 % plus de 64 ans... 

Il ingurgite une nouvelle rasade et réclame son dû d’un fond de verre rageur sur le bois de la table. Une bonne âme le comble.

— Pourquoi ce chiffre de 64 ans ? me direz-vous. Une question d’une rare importance. Si cela titille ce qu’il vous tient de cerveau reptilien, je vous engage à la poser directement aux fameux sondeurs. Ceci dit, il est vrai qu’il convient d’éviter les emballements dans ces zones-là, un dérapage est vite arrivé. Vous ne voudriez pas leur briser le cœur. Face à l’infarctus féminin, raison faut savoir garder.

Et boisson faut savoir stopper... même pour un Écossais. 

— Mais revenons à nos statistiques et à leur frigide musique. Un chant de chiffres qui annonce sans grâce qu’il y a près de 49 % d’hommes. Quoi qu’en pensent mes camarades anglais les moins alcoolisés, de mon côté, il existe des souches fondatrices sur lesquelles je n’ai aucun mal à m’appuyer. Si ! Si ! Je vous jure.

Oups ! Une chance, personne n’a compris.

— 20 plus 31 plus 49, je peux vous l’affirmer, chiffre à l’appui...

Il vide à nouveau son verre et reprend sans même attendre d’être resservi.

— Vous disposez d’au moins 100 % de chance d’arriver à résister à la bête maligne et à ses perfides attractions !

Le verre quémande son dû en faisant sonner la table.

— Toutefois lorsqu’il s’agit du service de Sa Majesté, rien de tout cela ne doit entrer en ligne de compte. Quand le devoir l’impose, qu’importe le flacon, nous y plongerons notre plume. Elle parcourra sans honte ni retenu le moindre recoin du temple impie, chuintant un terrible « sus à l’ennemi ! » Le fracas de nos coups de boutoir ébranlera chacune des barrières virginales qu’il nous opposera et pénètrera jusqu’au tréfonds de l’âme perverse qui l’habite. Enfin jaillira le Britannia, rules the waves qui mettra à genoux le vaincu... Hips !

Son verre se lève, les nôtres le rejoignent, et tous en cœur nous crions « Pour la Reine ! Pour le MI6 ! Hourra ! Hourra ! Hourra ! »

Nos verres claquent sur la table et le silence retombe dans la pièce pendant que le jukebox du mess laisse entendre une voix d’un chanteur espagnol : « Vous les femmes, vous le charme, vos sourires nous attirent nous désarment, vous les anges, adorables, et nous sommes nous les hommes pauvres diables... » 


A suivre... mercredi prochain

Si cette nouvelle vous a plu, n'hésitez pas à retrouver mon univers dans "Bons Baisers de Dubaï", 300 pages de suspense : De nos jours, la course folle de deux agents de Sa Majesté pour éviter un conflit majeur. Action, dépaysement et humour garantis.  



3 commentaires:

  1. tu écrits des nouvelles autour de ton livre. intéressant, j'avais eu la même idée pour gahila, mais le temps me manque.

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    1. En fait j'écris plutôt des nouvelles dans l'univers de mes livres. D'autres personnages. On croise parfois les mêmes avant leurs aventures actuelles (qui elles se passent toujours dans un futur proche alors que là nous sommes dans le passé).
      Après pour ce qui est du temps, tu as raison... mais souvent ces nouvelles sont le jaillissement d'un instant, une réaction à une info ou une idée... qui disparaitrait si j'attendais de les inclure dans quelque chose de plus vaste :-)
      Merci de les avoir lu et d'avoir pris le temps d'écrire ces quelques lignes !

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