vendredi 3 novembre 2017

"St Christophe, priez pour lui !" extrait de BONS BAISERS DE BISSAU




Après des ablutions expédiées plus vite qu’un Notre Père, fatigué, je me dirige vers un lit bienvenu quand un crissement me fige.  

Le gravier s’agite devant ma terrasse. Je faisais confiance au Yotox, traditionnelle spirale colorée des nuits tropicales, pour régler leur compte à tous les nuisibles volants et espérais que ceux sur deux pattes auraient eu la courtoisie d’attendre le lever du soleil. Il faut croire que je n’ai pas été entendu... contrairement à cet importun. Je vais devoir le prier de revenir plus tard.

Les faibles luminaires de l’esplanade découpent sa silhouette sur le rideau. À la regarder, je comprends sans peine que ce drôle de paroissien préfère que nos échanges restent discrets, sinon pourquoi aurait-il revêtu son automatique d’un silencieux ?

 

L’abri vaporeux de la moustiquaire n’arrêtera pas les projections de ce type de goupillon. Il revient donc au polochon de tenir le rôle de la victime expiatoire. Il en va de l’honneur de sa corporation dont c’est une spécialité millénaire. La masse de plumes accepte sans rechigner et se glisse sous le drap.

La baie vitrée s’efface sur quelques centimètres. L’arme écarte le voilage. Elle grogne par trois fois. Professionnel, l’oreiller suit son rythme. 

La fumée s’élève à peine que déjà la main commence à se retirer. Le coquin ne s’assure même pas qu’il m’a changé en cadavre sans âme. Que voilà un sermon fort peu orthodoxe. Le prêche de mon fâcheux manque de consistance. À moi de le maintenir en chaire.

Je saisis son poignet et le tire avec force vers l’intérieur. La figure de l’homme s’écrase sur la vitre. Le tintement d’une lourde cloche résonne dans la nuit bissalienne. Surpris, cet enfant de chœur en lâche l’instrument de ses extrêmes onctions. L’arme git sur le sol. 

Maintenant, il vaudrait mieux que mon tueur ait de la voix. Il va me dire quel sordide démon lui a inspiré cette messe à quatre sous. Il s’effondre. Aïe, j’ai assommé cet incapable. Les exécuteurs des basses œuvres ne tiennent plus le choc. 

Je récupère la carafe posée sur la table. Le liquide qu’elle contient chute sur la figure de mon agresseur en une vague compacte et... je le rejoins au sol. 

La Bête doit être plus douée qu’elle ne m’a paru de prime abord. Dans une vive rotation, ses jambes ont fauché les miennes. L’insoumis se relève. Il tente de gagner le parking. Sur l’esplanade une voiture, tel un phare, vient d’y allumer les siens. 

Immédiatement, ma main saisit sa cheville. Une prise imparfaite, cette satanée sueur qui m’inonde à chaque combat. Mon adversaire tombe quand même. Il s’aplatit sur le sol… juste à côté de la carafe. Tous les diables de la brousse s’ingénient à le défendre ce soir. Par contre de mon côté, God save rien du tout. Dans un violent retourné, il fracasse le broc sur moi. Mon bras s’interpose à la dernière seconde. 

Nous nous relevons dans un bel ensemble. Encore un peu sonné, j’ai du mal à repasser à l’offensive. Des étoiles troublent ma vision. Mon assassin reste lui aussi immobile. Il me regarde dans la lumière blanche des phares. A-t-il été frappé par une illumination divine et se repend-il déjà de son geste ? Ou bien, est-ce l’incontestable chic londonien de mon pyjama de soie qui l’éblouit ? 

Une giclée de plomb fait voler en éclat le crépi du mur au-dessus de nos têtes. Cela remet en marche la sienne. Près de la voiture, un automatique crache des flammes. Le supérieur de la congrégation rappelle violemment son sbire. Docile, l’acolyte prend ses jambes à son cou.

Depuis le parking, l’infâme père abbé me bénit d’une nouvelle aspersion de plomb m’interdisant toute poursuite. Son moinillon est désormais trop loin pour que je l’absolve. Son âme demeurera à jamais entachée de ses crimes. Fâcheux car l’heure d’en finir est venue.

Je récupère le pistolet abandonné par mon visiteur. Mon gars arrive à la voiture. La portière arrière entrouverte, la banquette s’apprête à le recevoir. Il croit être au bout de son calvaire et pense avoir atteint le porche d’une chapelle salvatrice. Pourtant son sort est scellé. Je presse la détente. Le condamné s’effondre dans le véhicule, désormais corbillard, qui démarre. 

— Trop tard pour Saint Christophe, murmurè-je dans un bâillement.

Quoi qu’on prétende, l’automobile restera toujours un moyen de transport parmi les plus mortels.


A suivre... dans BONS BAISERS DE BISSAU
(à paraitre mi novembre 2017 sur amazon.fr)


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