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This
is the end…
Dans toutes les salles d’embarquement de l’aéroport du Caire, les écrans des principales chaines d’informations internationales affichent ce matin les mêmes horribles images de fin du monde...
24 heures plus tôt.
Un
homme à la maigreur excessive, que masque un ample costume en lin brun clair, traine
seul sous un de ces bosquets d’arbres chétifs dont un architecte sans imagination
a paré l’esplanade qui relie le temple de Karnak au Nil. La chaleur écrasante
du jour naissant ne parait pas l’affecter. Dans sa tête, cette chaleur ne diffère guère
de celle qui accablait ses ancêtres il y a 3000 ans, alors, malgré la soif qui
le tenaille depuis des heures, il se force à ne pas la remarquer. La tâche qui
l’attend est par trop vitale et sa position désormais trop périlleuse pour que
la température ambiante vienne troubler ses sens en alerte.
Après les massacres des semaines passées, il est le dernier. Peu importe, il
possède les clés de la fin de ce monde et sait comment les utiliser. Dans
quelques minutes, il accèdera à la pièce la plus sacrée du domaine d’Amon.
Quelle ironie, depuis tout ce temps, les archéologues n’ont jamais découvert la
porte qu’ils avaient pourtant sous les yeux. À trop montrer une chose, elle en
devient invisible.
Dans sa tête, les images de tous ses anciens frères défilent. Celles du vieil homme au chapeau, en particulier. De leur dernière rencontre à Paris, quand il lui a confié le protocole ultime. Son ami est mort, comme tous les autres, pour le protéger. Les traitres aussi sont passés de vie à trépas, et avant d’avoir pu le donner puisqu’il est là aujourd’hui.
Les portes du site s’ouvrent, à l’heure pour une fois, tel un signe divin. Il va se glisser entre les béliers sphinx et aller jusqu’au lac sacré. De là, il accèdera à la zone interdite au public. On trouve toujours sur les berges un indigène prêt à vous aider à franchir les barrières et à vous guider en échange d’un « bakchich, monsieur ». Ensuite, ce sera la fin.
Le parking de l’esplanade est vide. Seul, un luxueux bus de touristes vient de s’y garer et laisse descendre une vingtaine de Français. Avec un regard désabusé, il se dirige vers eux. Il va se noyer dans cette foule… inexistante.
— Pauvre Égypte, de quelle misère t’es-tu donc revêtue ? Mais pourquoi serais-tu différente de ce monde qui se termine ? murmure-t-il.
L’homme sort de sa poche une casquette de baseball, si typiquement étasunienne, et après l’avoir chaussée rejoint ces personnes qui déjà photographient avec application tout ce qui ne bouge pas.
Au même moment, un minibus d’un quelconque tour-operator se porte à la hauteur de celui du groupe.
— Ces quelques visiteurs supplémentaires vont motiver plus encore les mendiants-guides locaux, pense l’homme avant de réaliser que le véhicule est vide... bien que ses amortisseurs montrent une charge excessive.
Dans l’aéroport ce matin, les breaking news et autres JT déroulent leurs bandeaux sur ce qu’ils qualifient comme l’un des plus importants attentats en Égypte depuis des décennies. Les images d’un immense trou entouré de militaires nerveux, d’une carcasse déchiquetée d’un bus et d’ambulances sirènes hurlantes occupent leurs écrans. Les médias ont déjà reçu une demi-douzaine de revendications. Celle de Wilayat Sinaï, la branche locale de l’État Islamique, retient le plus l’attention des commentateurs politiques.
— Voilà, le dernier des Ysthophraingiens est mort... et le monde est toujours vivant, ricane mezzo-voce un homme au teint hâlé et à l’allure massive d’ancien navy seal avant de se diriger vers la porte d’embarquement du vol pour Londres en évitant de justesse une foule compacte de touristes chinois qui, comme une fourmilière en marche, avance sans se préoccuper de ce qui l'entoure.
Vivant... l'humanité l'est-elle réellement ? se demande-t-il en les voyant s'éloigner.
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