J - 84
Exodus, Nakba, qu'importe à la
fin
(Visions de futurs
sombres)
— Nous sommes
les derniers, nous devons y aller, monsieur, indique le militaire au béret bleu
horizon.
— Tous ces
sacrifices, tous ces efforts, tout ça pour rien. Nous voilà de nouveau
condamnés à l’errance, soupire l’homme au visage marqué et à la barbe poivre et
sel.
C’était écrit dès le
début, pense le militaire en regardant la personne en face de lui, entourée de
deux gardes du corps, repositionner son couvre-chef si caractéristique.
— C’est la terre
de nos ancêtres, continue le vieil homme en s’appuyant sur un de ses gardes, un
jeune homme brun à la peau mat qui le soutient pour l’aider à marcher.
— Peut-être,
réagit ce dernier avec la vibration sourde d’une colère contenue dans sa voix,
mais notre aveuglement nous a fait oublier les leçons de l’histoire. Les
premiers d’entre nous sont venus ici avec le rêve d’y construire une société
nouvelle autour de l’idée du partage, et petit à petit nous l’avons transformée
en une société du rejet. Les armes ne font pas tout. Quel orgueil de croire que
les belles armures de nos exosquelettes pouvaient vaincre éternellement tout un
peuple ! Comme les croisés, il y a mille ans, aujourd’hui nous quittons
notre dernière forteresse en terre Sainte.
Son collègue, le
deuxième garde, lui jette un regard furieux.
— Il est temps
d’y aller, rabbi Low, rajoute le premier usant de nouveau d’un ton respectueux
vers le vieil homme.
Au loin, les navires
humanitaires s’éloignent l’un après l’autre la rade d’une Acre en ruine. Le
rabbin se retourne une dernière fois vers la ville.
— Nous
reviendrons, lance-t-il vengeur avant de grimper la coupée.
— Vieil imbécile
fanatique, grogne une trop jeune femme soldat, le bras encore sanguinolent d’un
ultime combat.
L’officier onusien
qui ferme la marche n’ose pas regarder la blessée couchée au milieu d’une
coursive encombrée de mourants. Son regard de vieux militaire n’exprime rien,
mais dans son esprit des larmes coulent devant une jeunesse sacrifiée depuis
tant d’années.
Peut-être qu’un jour,
les religions nous apprendront à nous aimer dans la tolérance, murmure un
dernier espoir au fond de son cœur, mais ce n’est pas pour demain, rajoute son
intelligence.
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