dimanche 19 mai 2019

J - 98 #metoo, une blague ?


J - 98

#metoo, une blague ?

— Vous souvenez-vous, mon ami, de cette blague qui courrait dans les collèges dans les années 70/80 ? Non, vous étiez trop jeune évidemment. « Une femme qui dit non, ça veut dire peut-être ; une femme qui dit peut-être, ça veut dire oui ; une femme qui dit oui... c’est une pute », récite l’homme au chapeau.

L’homme marche tout en tenant près de son corps les pans de son manteau pour se préserver de la fraicheur de ce petit matin de printemps. Il avance bien droit sur ce quai de Seine, les yeux rivés sur Bercy et son imposant bâtiment qui, de l’autre côté du fleuve, émergent d’une brume légère. Un peu en retrait, son compagnon, plus jeune et plus costaud, le laisse parler sans rien ajouter. Un accord tacite entre eux. L’homme réfléchit à voix haute plus qu’il ne discute.



 
— Quel sens fallait-il mettre sur ce dernier mot et sur les pointillés, le marqueur de la blague ? De trop nombreux collégiens comprenaient que la femme qui dit « oui » est une Marie-couche-toi-là, une fille facile éminemment méprisable. Les créateurs de cette histoire, de fins manipulateurs, avançaient masqués. Quand on les critiquait, ils prétendaient vouloir ridiculiser le macho qui sommeille au fond de chacun de nous. Cette fille croisée au hasard et qui tombait entre nos irrésistibles bras n’était finalement qu’une prostituée à la recherche d’un gogo et le gogo c’était nous. Mais sous le masque se cachait une façon insidieuse de distiller auprès de jeunes cerveaux encore malléables, dans cette époque qui criait si fort à l’égalité des sexes, une image d’impureté associée à la femme libérée et de renforcer la croyance dans la juste domination masculine.

— Heureusement que #metoo est passé par là, ose son voisin.

L’homme au chapeau semble sortir de sa rêverie. Il le regarde, un fin sourire aux lèvres.

— Croyez-vous mon ami ? La morale est toujours partisane et ses excès jamais bons pour la liberté. Mais à quoi bon épiloguer là-dessus désormais, termine-t-il son sourire s’effaçant et ses épaules se voutant en même temps qu’il fixe sa chevalière gravée d’une pyramide à double base.

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