mercredi 27 septembre 2017

"Une coque grise", une nouvelle de SASSA



J’écoute sans que rien ne me choque, pourtant tout cela n’a rien d’honorable. 

Mais le service, mon service, doit montrer son utilité s’il veut que ses maitres le fassent revivre. Une mission nous a été confiée, nous devons l’exécuter, dont acte. 

Le responsable de la zone Europe de l’Ouest se met à jouer avec l’écran.

— Notre action doit empêcher la livraison de ce porte-hélicoptères aux Russes. Malgré les risques pour l’équipage et le personnel civil, il a été décidé, après accord du Premier ministre, de l’immobiliser à Saint-Nazaire en détruisant ses capacités de manœuvres. Une unité de plongeurs du Special Boat Service va fixer et faire exploser plusieurs charges sur la coque du navire. Le Major Querry, responsable de cette opération au SBS, va nous expliquer cela. Major, s’il vous plait. 

 

L’officier se lève pareil à un ressort qui se détend. Depuis le début de la réunion, il se tient droit dans son fauteuil. Jamais sa veste impeccable n’a dû toucher le dossier de son siège. Sans que la moindre expression n’effleure son visage, il prend la parole. Seules ses lèvres s’agitent, pas un clignement de paupières, pas un mouvement de ses yeux. Le militaire, un blanc bec issu sans l’ombre d’un doute d’une de nos prestigieuses académies, fixe l’écran pendant que les mots sortent de sa bouche avec un rythme aussi enthousiasmant que celui d’un métronome.

Durant sa présentation, il désigne tour à tour plusieurs endroits de la coque. 

— Quand pour finir nous aurons fait sauter les pods de propulsion, le navire perdra toute capacité de manœuvre pour de longs mois. Mais ne vous inquiétez pas, malgré le nom glorieux donné à cette opération, il ne sombrera pas, termine-t-il avec un soupçon de sourire cynique sous sa moustache rase.

Quel manque d’imagination dans le choix de ce nom ! Churchill doit se retourner dans sa tombe.

— Major Querry, je vous présente Jo Drake, dis-je en désignant de la main l’agent à mes côtés. Il organisera votre soutien à terre. Messieurs, nous vous laissons régler les détails de la mission. Celle-ci doit être exécutée dans les cinq jours à venir. Au travail. 

À travers la baie vitrée de mon bureau, j’observe les deux hommes définir leur stratégie. Des souvenirs ressurgissent, ceux d’une époque révolue, celle où je me trouvais à leur place dans une salle semblable à Century House, notre ancien siège. 

Malgré les brulures de la nostalgie, j’ai préféré garder un œil sur leur entrevue. Mon gars est un agent expérimenté, mais pas toujours facile. Par chance, l’officier du SBS n’est pas une femme. Mon homme est un collectionneur sans état d’âme. Comment dit-il déjà ? « Una volta basta ! » La phrase fétiche d’un de ses ancêtres corses, si j’ai bien compris. Dans sa bouche, cela signifie « une nuit, rien de plus ». Sans doute a-t-il raison, un agent de terrain ne doit pas avoir d’attaches, ce ne sont que des faiblesses, mais on peut quand même y mettre les formes. Pas lui. 

Toutefois, je ne suis pas sûr que le genre de l’officier rende leur entretien et leur future collaboration plus faciles. Ce genre pincé et imbu de leur personne comme seules nos académies royales savent en produire. Le genre qu’il a côtoyé pendant toute sa formation et qui l’a probablement poussé à renoncer à une brillante carrière militaire pour intégrer le MI6.

Enfin la réunion se termine. Aucun esclandre, l’avenir s’annonce sous de meilleurs auspices que je ne l’avais envisagé. Quoique ! Drake lève les yeux au ciel en refermant le dossier pendant que l’officier quitte la salle. Il s’en est fallu de peu.

Quelques heures plus tard, Drake roule à bord d’une discrète berline en direction de Folkestone et du dernier Shuttle. Je l’observe pendant le transport vers Calais. La rame n’est pas pleine et la plupart des voyageurs somnolent dans leur véhicule. En absence de rousses sophistiquées dans son voisinage immédiat, Drake les imite rapidement. Heureusement mon homme n’est pas très grand, un sacré avantage quand on essaie de dormir dans une voiture qui n’a rien de commun avec un siège en première classe. Très vite une légère buée recouvre l’intérieur du parebrise et le fauve blond aux yeux gris disparait dans l’attente du moment où les portes des wagons coulisseront de nouveau dans la nuit noire.

Après six heures de petites routes avalées à un train d’enfer, nous arrivons enfin à Saint-Nazaire. Drake n’a pas pris une minute de repos, pourtant à peine les limites de la ville franchies, il cherche un endroit qui lui permettra d’observer le navire amarré à son quai. L’homme n’aime pas perdre son temps. Il veut prendre tout de suite la température des lieux, température qui d’après moi n’est guère différente de celle de Londres. 

Je regrette cet enthousiasme des missions de terrain. Depuis trop longtemps, je m’en suis éloigné. Plus de huit ans que j’occupe ce bureau, le Bureau. Pour tout le monde désormais Angus Young a disparu derrière cette lettre, le « C ».

Drake détaille bientôt la bête grise dans une aube encore hésitante. Il semblerait qu’il y ait un peu d’animation à bord. Il est bien tôt pourtant, surtout pour des Russes plus amateurs de vodka frappée que de coucher précoce. À ce compte-là, les journées doivent être longues pour ces marins de St Petersburg qui logent dans le navire depuis quelques semaines déjà. 

Mon regard se trouble un instant. Des fumées s’élèvent au-dessus du bâtiment. Avec Drake, je passe en vision infrarouge. Les échappements montrent une couleur trop marquée pour que cela soit dû à des essais à quai. Et trop de monde s’agite sur les différents ponts. 

Mon homme n’en croit pas ses yeux. Immédiatement, il analyse les données de son téléphone. Il vérifie l’information, mais comme moi, il connait déjà la réponse. Il n’est pas prévu de sortie en mer pour les prochains jours. 

Soudain plusieurs explosions sèches retentissent dans la nuit. Elles proviennent du navire. Nous nous jetons sur nos jumelles. 

Rien de particulier. Ni incendie ni fumée. Pas d’affolement. Rien, à l’exception de la coupée qui repose désormais à moitié détruite sur le béton du sol et voisine des amarres sectionnées qui pendouillent lamentablement. 

Les marins russes ont osé. Ils tentent l’impensable. Quitter le quai et Saint Nazaire par leurs propres moyens et ensuite faire route vers la mère patrie. Ils veulent renouveler l’exploit des Israéliens avec leurs vedettes de Cherbourg. Ils sont en train de « voler » le bateau à des Français empêtrés dans leurs atermoiements diplomatiques.

Nous arrivons trop tard. Aidé par ses pods de propulsion, le navire géant s’ébranle et très vite commence à s’orienter vers la sortie. 

Bip ! Bip ! Bip !

Le geste quotidien de ma main arrête la sonnerie du réveil. Quel drôle de rêve ! 

Hier au 10 Dowing Street, nous avons évoqué avec le Premier ministre ce sujet, l’opération « Coulez le Bismarck ». Je dois lui fournir une réponse ce matin.

Zut ! Que ces satanés froogies résolvent seuls leurs problèmes ! Pas question d’envoyer mes hommes et les Royal Marines se fourrer dans un tel guêpier.

Et maintenant, un café-whisky pour recaler mon gyroscope mental de toutes ses émotions nocturnes.


A suivre... mercredi prochain



Si cette nouvelle vous a plu, n'hésitez pas à retrouver mon univers dans "BONS BAISERS DE DUBAÏ"  suivi de "BONS BAISERS DE JAKARTA" 600 pages de suspense : De nos jours, la course folle de deux agents de Sa Majesté pour éviter un conflit majeur. Action, dépaysement et humour garantis. Existent en version électronique ou papier.





2 commentaires:

  1. Saint Nazaire n'est pas protégé comme Brest ? Et pas pigé quel navire est coulé. Pas clair, pour moi...

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    1. Suis content, j'ai perdu le Scapa !

      C'est top secret Sylvain, c'est pour cela que tu n'as pas compris ;-)

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